Isaïe 1,21-27 + 2,1-5

Lamentation sur Jérusalem

Père Jean Steinmann

Le prophète Isaïe, sa vie, son œuvre et son temps, p. 79s

 

                Le prophète se demande comment il a été possible que Jérusalem, la ville sainte et fidèle, ait pu déchoir au rang d’une prostituée. Le mot grec zona, dont il se sert, désigne une femme qui se vend pour de l’argent, et non l’une de ces qedéshot, prêtresses d’Astarté, qui étaient vouées à la prostitution sacrée et que le Deutéronome appellera chiens ou chiennes.

                Pour marquer la déchéance de Jérusalem, Isaïe fait appel au souvenir du passé, non point du passé nomade, comme Amos et Osée, mais à l’époque de David. Ce roi avait laissé un souvenir de justicier. On se rappelait David vengeant Abner et les Gabaonites ; on se remémorait le grand souvenir de son fils Salomon rendant la justice. Mais maintenant l’enrichissement des responsables favorisait la corruption, particulièrement celle des magistrats et celle de la cour. Deux genres de malheureux faisaient surtout les frais de l’immoralité des juges : les veuves et les orphelins. Ceux qui voulaient les spolier s’arrangeaient pour que leurs procès soient indéfiniment ajournés.

                Isaïe ne pouvait mieux traduire le caractère odieux et injuste de cette situation que par l’image de l’argent falsifié, de la fausse monnaie où sont mêlés du plomb et des scories, et par celle du vin coupé d’eau. Le châtiment ne tardera pas. On jettera au creuset le métal impur pour le raffiner ; ce feu est le châtiment exercé en propre par Dieu. Mais pour le faire descendre sur Jérusalem, Dieu pourra utiliser la main d’un conquérant étranger. L’image du creuset, du cubilot de fonderie implique, après le traitement du feu, la sortie du métal raffiné. Cette transformation, cette purification par le feu rappelle le geste du séraphin touchant les lèvres d’Isaïe d’une pierre brûlante. Le châtiment supprimera les méchants ; pour les justes, il ne sera qu’une épreuve purificatrice.

                De plus en plus, les oracles du prophète vont venir corriger le pessimisme apparemment radical de la conclusion de la vision inaugurale. La prédiction des malheurs imminents appelle, comme contre-coup, l’assurance de la rédemption. On dirait un paysage, au premier plan traversé de ronces et d’épines où l’horizon plus lointain découvre des sommets immaculés. Mais pour atteindre le blanc royaume de la justice, il faudra s’ensanglanter les mains aux roches âpres et aux broussailles : le royaume connaîtra les horreurs de la guerre.