Galates 1, 11-24

Le regard du converti

Père Jean Paillard

Saint Paul : sa conversion, VS 109, 1963, p. 586s

 

          Il a été terrassé persécuteur, il a été relevé prédicateur, a écrit saint Augustin. Paul est venu au christianisme à l’âge adulte, et du camp adverse ! Un beau jour, ses perspectives se sont inversées. C’est de là que vient son acuité de regard, cette acuité qui lui fait voir ce qui est nouveau dans ce qu’il a de nouveau et ce qui est inouï dans ce qu’il a inouï. Il a fallu un choc, une rupture, peut-être même un combat intérieur, une longue résistance, suggérée par le mot du Christ : Il est dur pour toi de regimber contre l’aiguillon. C’est la grâce des convertis, cette foi qui est un doute surmonté, l’assurance que ce qui s’avérait surprenant, inimaginable, est bel et bien réel, conçu par un Dieu dont l’imagination créatrice est plus riche que la nôtre. C’est la grâce des convertis, cette verdeur, cette fraîcheur de regard, cette faculté d’embrasser d’un seul coup les ensembles et d’être attentif à l’équilibre des masses ;

 

            Paul, le converti, est passé d’un extrême à l’autre. Pour les apôtres, le christianisme s’inscrivait plus naturellement dans le prolongement du judaïsme ; pour plusieurs d’entre eux, par l’intermédiaire de Jean-Baptiste, cet homme qui se situe à la frontière des deux alliances. Rencontrer Jésus, vivre avec Jésus fut pour eux découvrir peu à peu, dégager à la longue certaines richesses incluses plus ou moins explicitement dans l’Ancien Testament. Pour Paul, au contraire, le violent persécuteur de l’Eglise, la vie et l’enseignement de Paul impliquait une rupture avec l’Ancien Testament.

 

            De plus, à la différence des apôtres de la première heure, Paul fut converti brusquement, brutalement. Il fut soudain saisi par le Christ : J’ai été moi-même saisi par Jésus-Christ, écrit-il aux Philippiens (3,12). C’est pourquoi le regard de Paul, le regard du converti peut être caractérisé comme un regard étonné. Etonné, Paul l’est de multiples façons, et d’abord par la mort de Jésus : Paul perçoit la grandeur et le prix de cette mort, l’originalité de ce sacrifice qui rend caduc tout ce qui précède. Son regard de converti, un regard étonné où se mêlent l’admiration et la reconnaissance, fut un moment un regard scandalisé. Paul fut un homme conscient d’une double chose : d’une part de la singularité du fait de la résurrection, d’autre part du caractère réel de cet événement qu’il annonce, cette résurrection ; nous dirions aujourd’hui du caractère existentiel du christianisme.