Genèse 22, 1-19

Le sacrifice d’Isaac

Saint François de Sales

Traité de l’amour de Dieu, Livre XII, chapitre X, La Pléiade, p. 965s

 

          On ne peut aimer Dieu parfaitement si l’on ne quitte les affections aux choses périssables. Cela n’est rien en comparaison de ce que fit Abraham, quand Dieu lui dit : Prends Isaac, ton enfant unique que tu aimes, tu l’offriras en holocauste.

            Voilà cet homme qui part soudain avec ce tant aimé et tant aimable fils, fait trois journées de chemin, arrive au pied de la montagne, laisse-là ses serviteurs et son âne, charge son fils Isaac du bois requis à l’holocauste, se réservant de porter lui-même le feu et le glaive. Et comme il va montant, ce cher enfant lui demanda : Où est la victime de l’holocauste ? A qui le père répond : Dieu se pourvoira de la victime de l’holocauste, mon enfant. Arrivé sur la montagne, Abraham construit un autel, arrange bois, lie son Isaac sur le bûcher ; il étend sa main droite, empoigne et tire à soi le glaive, hausse le bras, et comme il est prêt a frapper pour immoler son enfant, l’ange lui crie d’en-haut : Abraham, Abraham, lequel répond : Me voici. L’ange lui dit : Ne tue pas l’enfant, c’est assez ; maintenant je connais que tu crains Dieu, et n’as pas épargné ton fils pour l’amour de moi. Sur cela, l’enfant est délié, Abraham prend un bélier qu’il voit pris par les cornes aux ronces d’un buisson, et l’immole.

            Regardez cette scène. Abraham remâche et roule plus de trois jours dans son âme l’arrière pensée et résolution de cet âpre sacrifice. N’avez-vous point pitié de son cœur paternel, quand, montant seul avec son fils, cet enfant plus simple qu’une colombe qui lui dit : Mon père, où est la victime ? Et le père qui lui répond : Dieu y pourvoira, mon fils. Ne pensez-vous point que la douceur de cet enfant, portant son bois sur ses épaules et l’entassant sur l’autel, fit fondre les entrailles de ce père ? Ô cœur que les anges admirent, et que Dieu magnifie ! Seigneur Jésus, quand sera-ce que vous ayant sacrifié tout ce que nous avons, nous vous immolerons tout ce que nous sommes ? Quand vous offrirons-nous en holocauste notre franc arbitre, unique enfant de notre esprit ? Quand sera-ce que nous le lierons et l’étendrons sur le bucher de votre Croix, de vos épines, de votre lance, afin que, comme une brebis, elle soit une victime agréable de votre bon plaisir, pour mourir et brûler du feu et du glaive de votre saint amour ? Ô franc arbitre de mon cœur, que ce vous sera chose bonne d’être lié et étendu sur la Croix du divin Sauveur ! Que ce vous est chose désirable de mourir à vous-même pour brûler à jamais en holocauste pour le Seigneur !