Genèse 24, 33-41+49-67

Les caractéristiques de la spiritualité cistercienne à Cîteaux

Père Robert Thomas

La tradition cistercienne, p. 19s

 

          Parmi bien d’autres, la dévotion à l’humanité du Christ est une des caractéristiques de Cîteaux, signalée plus d’une fois. Tous les maîtres spirituels cisterciens sont attentifs à considérer le mystère de l’Incarnation rédemptrice, à contempler dans leurs écrits, sermons ou prières, Dieu devenu enfant. C’est une stupéfaction, un ravissement, un feu, pour reprendre les expressions de saint Bernard. Lui-même s’émeut devant les larmes de l’enfant Jésus, il serre sur son cœur, comme un bouquet de myrrhe, le souvenir de toutes les souffrances de Jésus, surtout sa passion. Il s’émerveille que ce Géant soit descendu du ciel pour se réduire à ces dimensions, s’étendre sur sa pauvre âme, comme jadis le prophète sur le corps du petit enfant qu’il allait ressusciter : Je rumine avec ravissement tout cela, mes entrailles s’en rassasient, mes os germent la louange.

            Qu’il s’agisse de Guillaume, de Guerric, d’Aelred, d’Amédée de Lausanne, ou des autres, c’est un attendrissement, qui n’est pas de la sentimentalité devant cette chair, cette humanité du Christ, qui aboutit à l’expérience mystique.

            Ces spirituels sont les hommes de l’expérience, de l’expérience de Dieu et de celle de leur pauvreté devant Dieu. Ils ont soif de Dieu, du ciel, de goûter combien le Seigneur est doux ; et ils ne désirent pas, ils ne cherchent pas sans trouver ; ils nous livrent leur expérience : Pour l’instant, supportez un peu ma folie : je vais vous dire comment les choses se passent pour moi. Je confesse que j’ai reçu la visite du Verbe, et cela à plusieurs reprises. J’ai senti sa présence ; quant à savoir d’où il venait en moi, où il est allé en me quittant, je dois dire que je l’ignore… Ainsi s’exprime saint Bernard, et l’on trouve des confidences analogues chez les autres, Guerric, Gilbert, Jean de Ford, Guillaume, etc…

            Ils aiment et ils expérimentent l’amour de Dieu. D’aimer Dieu sous l’impulsion de l’Esprit-Saint-Amour les conforme à Dieu. Leur expérience de Dieu n’est pas une gourmandise spirituelle, un égoïsme raffiné : la contemplation exige au contraire une sortie de soi. Toute leur spiritualité au fond, c’est de passer de soi à Dieu. Les épreuves mystiques ne leur manquent d’ailleurs pas : cette insatiété qu’ils éprouvent dans l’expérience elle-même, cette douloureuse attente, car si Dieu se fait goûter, il manque terriblement quand il s’échappe. Joie de sa présence, souffrance de son absence, ainsi se partage la vie désormais, dit Guillaume de saint Thierry.