Philippiens 3,17 – 4,9

« Notre citoyenneté est dans les cieux »

Père Enzo Bianchi

Vivre, c’est le Christ, La lettre aux Philippiens, p. 118s

 

          Les ennemis de la croix n’ont d’autres buts dans l’existence que de vivre dans le bien-être : leur dieu est le ventre, c’est dire qu’ils envisagent comme finalité de leur vie la jouissance grotesque, autrement dit qu’ils fuient la moindre peine inhérente pourtant à notre humanité. Leurs aspirations sont terrestres si l’on considère qu’ils ne font pas la distinction qui s’impose entre les choses visibles, qui ne durent qu’un temps, et les invisibles qui sont éternelles. Il est un équilibre subtil, mais fondamental pour le chrétien, entre la vie avant et la vie après la mort, entre le ciel et la terre, entre le temps et l’éternité. Conscient que le temps se fait court, que ce monde est destiné à passer, le chrétien reste fidèle à la terre, mais en même temps en mesure de mettre une distance entre lui et les choses de la terre, distance qui s’impose pour lever son regard vers les choses d’en-haut. Il s’agit, en d’autres mots, d’actualiser ce mouvement très subtil que renferment les paroles de Jésus : être dans le monde sans être du monde.

          Effectivement, poursuit Paul, notre citoyenneté est dans les cieux : le chrétien vit structurellement le status viatoris en tant que citoyen du ciel, et donc, son style de vie est dans les cieux tandis qu’il reste étranger pèlerin sur la terre. La vie chrétienne, sa manière d’être au monde, est un pèlerinage, oikia, littéralement résidence en terre étrangère. L’existence de l’Eglise, en conséquence, est celle d’un peuple exilé et terre étrangère, loin de sa propre demeure, réfugié dans le demeure d’autrui. Assurément, l’Eglise est pèlerine sur la terre, sa citoyenneté est uniquement dans le ciel, où les chrétiens ne sont plus étrangers, ni pèlerins, mais citoyens des saint et familiers de Dieu. Ils ne peuvent, pour ainsi dire, avoir une patrie qui ne soit le Royaume de Dieu !

          Il n’est aucunement question de trouver ici une invitation à s’évader de l’histoire, à se désengager vis-à-vis des hommes et de la polis : le chrétien vit dans la compagnie des hommes, à leurs côtés, mais il coupe les ponts avec l’esprit du monde, il ne se conforme pas à l’idéologie dominante, il ne fait pas allégeance aux idoles de ce monde. Ce temps, il le sait, est un exode, un passage de ce monde au Père, et il n’y a pas ici-bas de cité permanente, lui qui est toujours en quête de la cité future.