Jean 6, 1-15

Les pains multipliés

Saint Jean Chrysostome

Homélies sur saint Jean, OC 13, p. 580s

 

           Pourquoi le Sauveur interroge-t-il ici Philippe ? Il connaissait quels étaient, parmi les disciples, ceux qui avaient un plus pressant besoin de doctrine. Philippe est effectivement celui qui devait plus tard lui dire : Montre-nous le Père, et cela nous suffit (Jean 14,8). Voilà pourquoi Jésus l’instruit à l’avance. D’ailleurs s’il eût opéré le prodige sans préliminaire, ce prodige n’eût point semblé aussi considérable : le Christ commence donc par faire proclamer le besoin général que l’on éprouvait, afin que le miracle  apparût dans toute sa grandeur. Ecoutez la question qu’il adresse à son apôtre : Où achèterons-nous des pains pour qu’ils aient de quoi manger ? C’est ainsi sous l’ancienne loi, avant d’accomplir un miracle, le Seigneur avait demandé à Moïse : Qu’as-tu en main ? (Exode 4,2). Comme les faits merveilleux qui éclatent tout à coup nous ravivent d’ordinaire le souvenir de ce qui les a précédés, Jésus commence par tirer de Philippe un aveu qui le lie : de cette manière, il n’était plus à craindre que la stupeur où le disciple serait jeté lui ôtât la mémoire de l’aveu précédent, et il lui était facile d’arriver par comparaison à l’apprécier à sa véritable valeur. C’est du reste ce qui arrive. A la question de son Maître, Philippe répondit : Deux cents deniers de pain ne suffiraient pas pour donner un peu de pain à chacun. – Il parlait ainsi pour l’éprouver, car il savait ce qu’il avait à faire, poursuit l’évangéliste. Qu’est-ce à dire pour l’éprouver ? Ne savait-il pas ce qui allait lui être répondu ?

          Jésus venait d’interroger Philippe lorsque André, frère de Simon Pierre dit : il y a ici un enfant qui porte cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour une foule si nombreuse ? Les pensées d’André sont plus élevées que celles de Philippe. Il avait vraisemblablement un motif particulier en parlant ainsi : se rappelant les miracles opérés par les prophètes, notamment les pains d’Elisée ; à ce souvenir, il s’élève à une certaine hauteur. Cependant, les paroles qu’ajoutent André dénotent une grande faiblesse : Qu’est-ce que cela pour une foule si nombreuse ? Il était facile à Jésus de produire des pains en abondance, il n’avait même pas besoin de matière première ! Ce fut donc quand les deux disciples n’osaient point l’espérer que le divin Maître opéra ce prodige : ayant déjà proclamé la difficulté de l’œuvre, ils en retirèrent un plus grand avantage et connurent mieux, quand elle fut accomplie, la puissance du Seigneur.