Jean 6, 60-69

L’Esprit qui vivifie

Adrienne von Speyr

Jean, Les Controverses I, p. 71s

 

          L’esprit vivifie. Mais tant que nous voulons établir et observer pour l’esprit les mêmes lois que la chair nous impose, nous empêchons notre esprit de se vivifier. La chair se sent bien dans le limité ; mais nous ne devrions jamais permettre à notre esprit de se réfugier dans cette espèce de prison que notre chair recherche si volontiers. Certes la chair a besoin d’un certain ordre, qu’elle prend très au sérieux : il est la loi de sa vie et de sa conservation. Mais l’ordre de la chair doit rester soumis à l’esprit, et cela si totalement que le poids  de cet ordre ne se remarque pas. Ces lois simples, évidentes pour chacun, devraient être observées avec tant de naturel et de discrétion, qu’on y consacre le moins de temps et de peine possible. La chair doit être tenue dans un ordre tel, qu’elle serve sans attirer l’attention ; il ne faut pas l’entraîner à des élans, à des performances qui n’ont de sens qu’en eux-mêmes. Car la chair n’est pas capable d’autre chose. Il ne faut pas vouloir faire éclater les finitudes de la chair dans le plaisir, ni dans l’ascèse. Les records de la chair ne servent de rien. L’esprit, lui, a son propre ordre supérieur. Aussi la vie de l’esprit doit être ordre, mais ordre ouvert au toujours-plus-grand, au toujours-plus-risqué, à l’inconcevable. La meilleure disposition de l’esprit est d’être ouverte. Les bonds que l’esprit doit faire, c’est Dieu qui les détermine. Et le toujours-plus-grand dans lequel il se hasarde, ne doit pas être lui-même, mais de nouveau Dieu. Dieu fixe lui-même la loi fondamentale de l’ordre de l’esprit : elle consiste dans l’absence totale de sécurité. Pour les choses matérielles, une certaine sécurité est nécessaire. L’homme doit prévoir ce qu’il mangera demain. Mais ce que le Seigneur va exiger demain de son esprit, il ne peut le déterminer d’avance. Même pas jour après jour ; Dieu n’a rien demandé d’autre que l’ordre le plus strict, la conformité de vie la plus absolue.

          Comparée à la loi de l’esprit, la chair n’est rien, ne doit être rien. Une chair sans esprit n’a pas de sens. Elle n’a de sens qu’en tant que demeure et porteuse de l’esprit ; et ultérieurement comme éducatrice de l’esprit, parce que l’esprit doit croître selon la maîtrise voulue et exercée sur la chair. Mais si l’esprit concède à la chair une place indue, il dépérit, s’enfonce en quelque sorte dans la chair, qui a perdu son rôle de porteuse, et est devenue inutile. Tout ordre de la chair sert à initier l’esprit à son ordre à lui. Sans une constante victoire sur la chair, l’esprit ne peut être libre.