Qohélet 2, 1-26

La fortune ne fait pas le bonheur

Père Maurice Gilbert

Qohélet ou la difficulté de vivre, Etudes 398, mai 2003, p. 644s

         

          Qohélet avance une deuxième thèse : le bonheur n’est pas au rendez-vous de la fortune. Dans un discours d’une ironie féroce, le sage se présente sous les traits de Salomon. Dans sa quête de bonheur, le parangon  des sages d’Israël s’est organisé une vie somptueuse et ne s’est rien refusé. Mais, à la réflexion, que vaut cette quête de bonheur, cette course au profit ? Certes sa sagesse demeure proverbiale, mais, pour pourvoyeuse de sa fortune, a-t-elle quelque chance de lui survivre ? L’histoire biblique raconte comment Roboam, son successeur, fut à ce point politicien maladroit que le royaume se divisa, mettant fin à une ère de prospérité et de paix. Le prince ne peut éviter la question de sa succession. Qui lui garantira que l’héritier ne dilapidera pas son acquis ?

          De telles pensées font entrer dans le jugement à porter sur la fortune le fait inéluctable de la mort. A l’époque de Qohélet, nul en Israël n’avait encore affirmé haut et clair la survie de l’homme. Le sage ne peut donc qu’avouer l’inanité de son œuvre. Avantageuse ici-bas, la sagesse ne s’emporte pas au royaume des morts et, là, plus rien ne distingue le sage de l’insensé. A quoi bon alors tant de sagesse et de richesses péniblement acquises ? La certitude qu’à la mort il faudra tout abandonner et l’ignorance de ce que l’avenir préserve minent la jouissance des biens de ce monde.

          A ces pensées qui le rongent, Qohélet en ajoutera d’autres : sur l’expression que les riches font peser sur le peuple, sur la jalousie que suscite toute réussite, sur les tracas que provoquent la fortune et sur les risques inévitables pour qui manie beaucoup d’argent. La fortune n’est pas source pure de bonheur.

          Que suggère alors le sage sans illusions ? Non la course au profit, mais des joies simples reçues comme un don de Dieu. Qohélet tient encore une troisième thèse : il y a certes un temps pour tout, mais quel peut être le sens d’une telle dispersion de nos actes si nous ne percevons pas la portée de chacun d’entre eux sur la totalité de notre existence ?