Qohélet 8,5 – 9,10

Le sort unique du sage et du méchant

Père Bertrand Pinçon

Qohélet ou les sept clés du bonheur, p. 95s

         

          Conformément à son habitude, le sage débute sa réflexion par un regard contrasté sur l’existence. L’affirmation selon laquelle les actions des sages sont agréées par Dieu est aussitôt démentie par le fait que tout échappe au contrôle de l’homme. Et rien ne peut y faire, pas même la sagesse, contrairement à la pensée traditionnelle qui voit le juste récompensé par Dieu et assuré d’une vie longue sur la terre : Le salaire du juste procure la vie, le revenu du méchant le péché ; qui établit la justice va à la vie, qui poursuit le mal va à la mort.

            En 9,2-3, le sage développe son observation : la fin de tout homme est la même, il ne peut y échapper. Un sort unique attend tous les vivants : on va tous à la mort. Aucune considération cultuelle, religieuse ou éthique, ne peut faire la différence. Cette destinée commune est jugée avec sévérité par Qohélet qui la qualifie de mal. Que reste-t-il dans l’existence pour nous maintenir encore en vie ? Au fond, qu’est-ce qui nous empêche d’aller rejoindre ceux qui sont déjà partis ? Poussés dans ses propres retranchements, le sage finira, sous forme de sentence, par jeter un regard complaisant sur ceux qui sont encore de ce monde : Un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort (verset 4).

                        Avec l’approche inévitable de la mort, il y a bien une différence de statut entre les vivants et les morts, comme entre le sage et le fou : Le sage a ses yeux dans sa tête, et l’insensé marche dans les ténèbres. Désormais, ceux qui sont encore en vie ont un avantage notable par rapport aux autres, c’est qu’ils savent au moins qu’un jour ils mourront, alors que les morts, eux, ne savent rien du tout. Qohélet en tire quelques conclusions sur les ravages de la mort : tout disparaît avec elle. Il ne reste rien, ni en bien, ni en mal. Le propre de la mort est de mener à l’oubli. A contrario, qu’en est-il pour les vivants ? Ils ont pour eux de profiter de la vie bien qu’elle soit éphémère et parfois laborieuse. Ils sont même mis en demeure de se réjouir des bons côtés de la vie, lorsque cela est possible. Saisir le bonheur qui vient est même la seule réponse que le sage soit actuellement en mesure de donner de son vivant. Certes, les vivants savent qu’un jour ils mourront. Pour l’heure, ils sont en vie, et ils sont en capacité d’accueillir les exhortations au bonheur qui leur sont données. Se réjouir dès maintenant est cette part propre que Dieu assure à l’homme, part que la mort n’emportera pas avec elle. C’est dire les raisons qui poussent Qohélet à lancer son vibrant appel à profiter des bienfaits de la vie présente.