Siracide 39,1-14 ou 1 Thessaloniciens 2,1-20

Intériorité et contemplation

Mgr Claude Dagens

Saint Grégoire le Grand, p. 176s

         

          Chez saint Grégoire, la recherche de l’intériorité ne se confond, ni avec l’effort de purification que l’homme doit faire pour se libérer de l’emprise du sensible afin de mieux tendre vers Dieu, ni avec la connaissance qu’il prend de son péché en vue d’implorer le pardon. Les expressions telles que revenir à son cœur, habiter dans sa maison, ne définissent pas seulement l’ascèse ou la pénitence, car le thème du retour en soi, qu’elles servent à orchestrer, se rattache moins à la théologie morale de Grégoire qu’à sa doctrine de la contemplation. Revenir à son cœur, c’est la première démarche que l’âme doit accomplir pour se retrouver elle-même et pour trouver Dieu en elle. Craindre le Seigneur, voilà la sagesse, et s’écarter du mal, voilà l’intelligence (Job 28,28), c’est-à-dire en clair : Reviens en toi-même, homme, explore la retraite de ton cœur. Si tu constates que tu crains Dieu, il est bien net, à coup sûr, que tu es rempli de cette sagesse. Car si tu ne peux pas encore savoir ce qu’elle est en elle-même, tu sais en attendant ce qu’elle est en toi. Cette sagesse, en effet, qui en elle-même est l’objet de la crainte des anges, est appelée en toi crainte du Seigneur, parce qu’il est certain que tu la possèdes, s’il n’est pas douteux que tu crains Dieu. Pour accéder à Dieu, l’homme doit d’abord se connaître soi-même. Le retour en soi-même est donc bien, aux yeux de Grégoire, la première étape de la vie contemplative : pour s’élever jusqu’à la vision de Dieu, l’âme doit d’abord se concentrer, se ramasser, se replier sur elle-même.

            Ce retour en soi-même, qui exige qu’elle se sépare à la fois des objets extérieurs et des phantasmes intérieurs, est le premier degré de cette échelle de la considération qu’il lui faut gravir. Elle ne pourra s’élever jusqu’à la vision de Dieu qu’en délaissant l’univers des corps, le sensible qui est pure extériorité, et en évitant absolument de sortir d’elle-même : Si la voie des errements extérieurs lui est fermée, la retraite intérieure est ouverte à l’effort de l’âme. Car, dans la mesure où une âme, en se disciplinant, n’a plus le moyen de se disperser hors d’elle-même, elle peut, en progressant, tendre au-dessus d’elle-même ; c’est ainsi qu’un arbre, dont on empêche les branches de s’étaler, est obligé de pousse  vers le haut, et qu’en obstruant les canaux d’une source, nous contraignons ses eaux à s’élever. C’est donc en s’efforçant de ne jamais se disperser dans l’extériorité et en entrant en elle-même, que l’âme devient capable de s’élever vers Dieu. Seul, le chemin de l’intériorité peut la conduire à la connaissance et à la vision de son Créateur.