Sur Ruth 4, 1 – 22
La sandale déliée
Raban Maur
Commentaire sur le Livre de Ruth, SC 533, p. 115s

Le parent dit à Booz : « Prends ma sandale », et il la dénoua aussitôt de son pied. Comment pouvons-nous interpréter la sandale dans ce passage, sinon comme étant le voile des mystères ? Ainsi donc, la Loi a dénoué la sandale de son pied et l’a donné au Christ, car les voiles des mystères contenus dans le balbutiement de la lettre, elle n’a pu les amener à la clarté de l’intelligence en les manifestant au peuple ; mais elle a transmis cette noble fonction à notre Rédempteur, car c’est par lui seul, et par aucun autre, que toutes les nations devaient espérer et recevoir cette grâce. Ce n’est donc pas pour lui, mais pour le Christ, que Jean a réclamé la sandale ; car il a compris que ce n’était pas à lui, mais au Christ, qu’était réservée cette très noble épouse. C’est pourquoi il s’est également proclamé indigne de dénouer sa sandale. Enfin, c’est parce que ces hommes pensaient que Jean était le Christ, ce que nie ce même Jean, que celui-ci déclare avec raison d’être indigne de dénouer la courroie de sa sandale, comme s’il disait ouvertement : « Moi, je ne suis pas capable de découvrir les pieds du Rédempteur, car le titre d’époux, ne l’ayant pas mérité pour moi, je ne le revendique pas.
Mais on peut également proposer une autre interprétation. En effet, qui pourrait ignorer que les sandales sont faites à partir de dépouilles d’animaux ? Or c’est dans la chair que le Seigneur est venu, et qu’il est apparu, pour ainsi dire, chaussé d’une sandale, lui qui, dans sa divinité a assumé les dépouilles mortelles de notre corruption. C’est pourquoi il dit par la bouche du prophète : Sur l’Idumée, je jetterai ma sandale (Psaume 59,10). Par Idumée, c’est la gentilité qui est figurée ; par la sandale, c’est la condition mortelle pleinement assumée par le Christ. Ainsi donc le Seigneur proclame qu’il jettera sa sandale sur l’Idumée, car, tandis qu’il révélait aux nations dans la chair, sa divinité, en quelque sorte chaussée d’une sandale, est descendue auprès de nous.
Mais l’œil de l’homme n’a pas les moyens de pénétrer le mystère de son Incarnation : en effet, il ne peut en aucune façon découvrir comment le Verbe devient chair, comment l’Esprit divin et vivifiant prend vie dans le sein d’une femme, comment encore celui qui n’a pas de commencement peut exister et être conçu : la courroie de sa sandale, c’est qu’il n’est pas capable, à lui seul, de saisir le mystère de l’Incarnation : c’est par l’esprit de prophétie qu’il l’a pénétré. Que signifie donc la parole : Je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale, sinon qu’il reconnaît publiquement et humblement son ignorance ? Qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’il soit passé avant moi ? En effet, je remarque bien qu’il est né après moi, le mystère de sa naissance je ne le saisis pas encore.