Sur 1 Corinthiens 1, 18-31
Sagesse et folie

Saint Hilaire de Poitiers
La Trinité, SC 443, chapitre 3, 25-26, p. 383s

L’Apôtre savait que la pensée humaine, en son imperfection naturelle, place dans l’ordre du vrai cela seulement qui est à la portée de sa sagesse. Voilà pourquoi il dit qu’il ne prêche pas avec le langage de la sagesse : c’est qu’il ne veut pas réduire à néant ce qu’il affirme dans sa prédication. Mais il ne veut pas non plus qu’on le prenne pour un prêcheur de folie, aussi ajoute-t-il que le langage de la croix est folie pour ceux qui se perdent. Car les incroyants s’imaginaient que seule leur sagesse était prudente et, comme cette sagesse ne dépassait pas leur faiblesse de nature, ils estimaient folie la seule sagesse parfaite, celle de Dieu. Moyennant quoi les préjugés mêmes de leur propre sagesse en faisaient des fous. Donc, tout ce qui est folie pour ceux qui se perdent est puissance de Dieu pour ceux qui sont sauvés ; car eux ne mesurent rien par la faiblesse de leur intelligence naturelle, mais évaluent l’efficace du pouvoir de Dieu d’après l’infinité de la puissance céleste. Et voici pourquoi Dieu réprouve la sagesse des sages et l’intelligence des intelligents : le salut est accordé aux croyants par ce qu’humainement on estime une folie, étant donné que les incroyants taxent de folie ce qui dépasse leur intelligence et que les croyants s’en remettent au pouvoir et à la puissance de Dieu pour tous les mystères par lesquels largesse leur sera faite du salut.
Ce qui est Dieu n’est donc pas folie ; c’est la prudence naturelle de l’homme qui est insensée de réclamer à son Dieu pour le croire soit des signes soit une sagesse. Et c’est le fait des Juifs, bien sûr, que de réclamer des signes : familiarisés par la Loi avec le nom de Dieu, ils ne sont pas complètement ignorants, et pourtant le scandale de la croix les bouleverse. C’est le fait des grecs, d’autre part, que de demander une sagesse : leur niaiserie de païens et leur prudence humaine leur font chercher une raison à cette mise en croix de Dieu. Et parce que cette raison se trouve dans un mystère impénétrable à la faiblesse naturelle de l’intellect, la folie devient incrédule. Ce qu’un esprit imparfait ne conçoit point naturellement, cela, décrète-t-il, n’est pas justifiable devant la prudence. Mais cette imprudente sagesse du monde, qui n’a pas auparavant reconnu Dieu par la sagesse de Dieu, est bien la raison pour laquelle il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication, c’est-à-dire de faire de la foi en la croix le chemin de l’éternité pour les mortels. Ainsi seraient confondus les préjugés et opinions humains et l’on trouverait le salut là où l’on croyait qu’était la folie. En effet, le Christ qui est folie pour les Gentils et scandale pour les Juifs est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce que l’intellect humain juge faiblesse et folie dans les choses de Dieu, cela l’emporte par la vérité de sa sagesse et de son pouvoir sur la prudence et la puissance terrestres.