La faiblesse de Jésus est notre force

Saint Léon le Grand

Sermons, tome III, sermon 3 sur la Passion, SC 74, p. 33s

 

Dieu était dans le Christ se réconciliant le monde, et le Créateur portait lui-même sa créature pour refaire en elle l’image de son auteur. Les miracles des œuvres divines étaient achevés, que l’esprit prophétique avait autrefois annoncés : Alors s’ouvriront les yeux des aveugles, et les oreilles des sourds entendront ; alors le boiteux sautera comme le cerf et la langue des muets sera redressée. Jésus, sachant qu’était arrivé le temps d’accomplir sa glorieuse passion dit : Mon âme est triste à mourir, et encore : Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi. Par ces paroles révélatrices d’une certaine crainte, il guérissait en les partageant les émotions de notre faiblesse et abolissait en s’y soumettant la peur du châtiment à subir. C’est donc en nous que le Seigneur tremblait de notre frayeur, en sorte que, prenant notre faiblesse, et s’en revêtant, il habillât notre inconstance de la fermeté issue de sa force. Il était, en effet, venu du ciel en ce monde comme un négociant riche et bienfaisant, et, par un admirable échange, avait conclu un marché salutaire, prenant ce qui était à nous, et accordant ce qui était à lui, donnant pour les opprobres l’honneur, pour les douleurs le salut, pour la mort la vie. Et lui qui, pour exterminer ses persécuteurs, pouvait avoir à son service plus de douze mille légions d’anges, aimait mieux subir notre effroi que faire usage de sa puissance.

Le matin venu, les grands prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus pour le faire mourir. Ce matin-là, ô Juifs, la lumière ne se leva pas pour vous mais plutôt se coucha ; vos yeux ne virent pas s’avancer le jour accoutumé, mais sur vos cœurs impies la nuit d’une effroyable cécité s’abattit. Ce matin-là renversa votre temple et vos autels, vous enleva la Loi et les prophètes, anéantit votre royaume et votre sacerdoce, changea toutes vos fêtes en un deuil éternel. Vous avez tenu un conseil insensé pour faire mourir l’auteur de la vie et le Seigneur de la gloire. Et comme pour atténuer la démence de votre cruauté en ayant recours au jugement de celui qui gouvernait votre province, vous avez conduit Jésus enchaîné au tribunal de Pilate. Ainsi une fois ce juge tremblant vaincu par vos cris impies, vous choisissiez un assassin pour qu’on lui fît grâce et réclamiez pour le Sauveur du monde qu’on le livrât au supplice. Après la condamnation du Christ due à sa lâcheté, Pilate envoya Jésus à la croix, des mêmes lèvres qui l’avaient déclaré innocent. Sur la douceur de celui qui supportait tout cela, la populace déchaînée s’acharna.