Isaïe 14, 1-21

Satire sur la mort d’un tyran

Saint Bernard

Sermon pour le 1er dimanche de novembre, OC III, p. 310s

       Comment as-tu été jeté par terre, toi qui vassalisais toutes les nations ? Est-ce là l’homme qui faisait trembler la terre, qui réduisait le monde en désert ? Tu as été jeté dehors, comme une ordure.

       Qui m’empêche de croire, qu’après la chute de l’Astre du matin, Lucifer lui-même, le prince des démons dont le tyran de Babylone représente le symbole, ce furent les Séraphins eux-mêmes qui furent chargés de monter une garde vigilante aux portes du ciel, comme nous voyons, après que l’homme fut chassé du paradis terrestre, Dieu a placé un chérubin pour en garder l’entrée ? Peut-être même n’est-ce pas sans raison que l’auteur sacré donne un glaive de feu à ce chérubin dont la pointe et la flamme devaient tenir également les mains de l’homme éloignées de l’arbre de vie, attendu qu’il n’est rien que le corps redoute plus que ce qui perce et qui brûle.

       Le Lucifer orgueilleux est tombé, lui qui n’avait que l’éclat sans avoir la chaleur ; lui qui ne s’aidait que d’une aile pour s’élever, il a fait une chute au lieu de prendre son essor. Heureux de vouloir briller, il oublia que son nom de séraphin lui faisait un besoin d’être chaud et brûlant, ce qu’il n’était plus. Il ne demeure donc point debout, il tombe dans les profondeurs infernales, parce qu’il s’est laissé aller aux impies ; il ne peut plus s’élever en volant, comme il l’avait présumé. La vivacité de sa nature lui fit prendre son essor, mais ce fut pour sa perte, car le défaut de grâce ne tarda point à précipiter sa chute.

       Telle est aussi la chute de ceux qui, ayant connaissance de Dieu, ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces, ce qui fut cause qu’ils furent abandonnés à leur sens réprouvé, et que leur cœur insensé est tombé dans les ténèbres. Enfin, leur chef lui-même vit tomber devant ses yeux un voile que la vivacité de sa nature ne saurait percer, et que ne lui permet de voir ni la tête, ni les pieds, ni le corps de Celui qui est assis sur le trône, attendu que les séraphins, qui se tiennent debout auprès de lui, lui couvrent la tête, les pieds et le corps de leurs ailes.