Matthieu 19, 27-29

Charité fraternelle et unification de la vie chrétienne

Père Marie-Joseph Le Guillou

L’amour du prochain, p. 148s

 

          Toute vie chrétienne se trouve engagée dans une perspective fraternelle et divine : nos frères sont, pour nous, la visibilité nécessaire pour rejoindre le Christ et Dieu dans le Christ. Aussi, la charité fraternelle peut-elle être considérée comme le principe de l’unification de tout l’être, puisqu’elle engage dans le Christ, dans l’unité de notre fond spirituel ; en elle, toutes les vertus apparaissent comme des symboles ou des expressions de sa propre réalité. Elle assure, par le désintéressement même de l’amour, la stabilité des vertus, et la fidélité à la vie fraternelle apparaît comme le choix toujours plus libre d’un amour toujours plus jeune.

          La charité fraternelle joue le rôle de forme des vertus parce que, dans l’unification même de l’être, elle est comme l’apparition dans la chair de l’amour même de Dieu. Cette vie fraternelle suppose un incessant regard de foi. Qu’on pense au mot de Paul : La charité et la foi que tu as pour le Christ Jésus et tous les saints, car, si trop souvent la charité fraternelle ne se développe pas, c’est qu’il y manque un regard de foi sur les hommes.

          Mais elle suppose aussi l’espérance. Il n’est possible d’aimer l’autre qu’au-delà de lui-même, comme je ne puis m’aimer moi-même qu’au-delà de moi-même, en référence à Dieu. C’est dans une commune aspiration à ce qui nous dépasse  et nous réalise les uns les autres que nous nous aimons ; c’est dans une commune espérance.

          Notre charité est, pour notre prochain, un incessant appel à sa liberté, pour qu’il corresponde à l’appel profond qui est son être même dans son orientation vers Dieu : elle suscite l’espérance parce qu’au-delà de toutes les réalisations, si déficientes soient-elles, elle rejoint toujours la source de l’être, qui n’est pas l’homme lui-même, mais Jésus-Christ.

          L’Eglise elle-même n’est rien d’autre que l’annonce et la préfiguration de cette humanité réconciliée, car dès maintenant, c’est dans notre vocation de présence aux Personnes divines, que nous rencontrons tous les hommes dans l’amour, et notre vœu le plus profond, c’est celui du Christ : Père, qu’ils soient un comme nous sommes un.