1 Rois 10, 1-13

Les Exercices Spirituels

François Sureau

Inigo, p. 137s

          Un soir dans sa cellule du couvent des dominicains, Ignace se mit à écrire. Il ne voulait pas écrire ce qu’il avait vu, mais ce dont il avait la certitude. Il n’écrirait pas un témoignage, il fabriquerait un instrument. Il aiderait les hommes qui n’était ni pires, ni meilleurs que lui à en tirer profit.

            Cet instrument servirait à transmettre le savoir qu’il avait acquis à Manrèse : que l’on ne se trouvait pas en se cherchant ; qu’on ne pouvait pas vivre en se regardant vivre, ni se rendre libre par un effort de volonté ; que Dieu a pardonné d’abord, qu’il pardonne toujours et que l’œuvre de son Fils se poursuit jusqu’à la fin du monde ; que la seule question qui vaille est de savoir comment répondre à cet amour ; que Dieu étant plus présent à nous que nous-mêmes, la seule manière de savoir est de s’examiner, seul, en réfléchissant sur les vicissitudes de sa vie, sur les signes qu’elle contient, sur le bonheur et le malheur que l’on y trouve. Il l’appellerait simplement les Exercices Spirituels, et ce livre ne serait pas fait pour être lu. Il devrait être donné et pratiqué. Il l’écrivit d’un trait, avec l’inquiétante sureté d’un homme qui a rencontré Dieu. Et l’avenir ne devait pas lui réserver le sort de tant d’ouvrages de piété : Les Exercices deviendraient l’un des grands livres de ce monde nouveau où nous sommes encore, où l’homme doit d’abord se fier à lui-même pour trouver son salut.

            Il n‘avait pas fait seulement l’expérience du pardon, mais aussi celle de la division. C’est ainsi que les anciens nommaient le diable : le diviseur. L’appel de Dieu, quelques tenues qu’en fussent les premières manifestations, rencontrait des obstacles. Chaque homme devait apprendre à les reconnaître. Les ayant discernés, il pourrait les abattre et concourir ainsi, à sa place, au perfectionnement de la Création, jusqu’au dernier jour. Il fallait veiller et mener une bataille dont l’histoire était écrite dans l’éternité. Il n’y avait pas de partie plus sérieuse. Elle engageait le sort de chaque homme, de chaque royaume et pour finir de toute la terre. Elle n’avait pas de limites, ni dans le temps, ni dans l’espace. Elle se jouait à la fois dans le visible et dans l’invisible, dans l’âme et dans la politique, dans la chair et dans l’esprit. Il avait éprouvé que rien n’est étranger à Dieu. Le Christ ne cessait de parcourir le monde, rassemblant les énergies jusqu’à ce moment ultime que personne ne connaissait. Il avait montré comment traverser la souffrance et la mort. Il fallait simplement le suivre.