1 Rois 12, 20-33

La révolte de Jéroboam

Laurent Cohen

Le roi Salomon, p. 154s

         

          Ce qui singularise dangereusement l’action insurrectionnelle de Jéroboam, c’est qu’elle s’organise à l’intérieur des frontières du royaume, quand, à l’extérieur, au nord comme au sud du pays, Salomon doit résister aux violents assauts de bandes armées. Cette guerre totale, dont le rédacteur dépeint sobrement l’extension phase par phase, sans intermède, ni réticence, constitue au sein du récit biblique un verdict de culpabilité s’énonçant en des termes diamétralement opposés à ceux qui évoquaient jusqu’ici l’être-au-monde du royaume d’Israël : de la bénédiction a surgi l’abomination martiale, et contre l’utopie messianique la mort a reconquis ses droits.

          Jéroboam, lui, fait, d’emblée, figure de contre révolutionnaire exemplaire puisque, avec une infernale habileté, il va tirer partie des maladresses du système pour entraîner dans le sillage de sa révolte des pans entiers du peuple d’Israël. Le Talmud va jusqu’à voir en son nom un présage du rôle que, sur le plan de la théologie de l’Histoire, il va être conduit à jouer ; ainsi nous lisons que Jéroboam, en hébreu, est ainsi appelé parce qu’il a occasionné des divisions à l’intérieur du peuple, glose qui se fonde sur la racine hébraïque de son nom signifiant querelle, division. Et pourtant, si le rédacteur biblique s’étend sur l’action dévastatrice de Jéroboam, il observe un étrange mutisme lorsqu’il s’agit d’en dévoiler les raisons objectives.

          Pour la première fois, le règne de Salomon s’était métamorphosé en joug pesant. Les sentiments populaires de liberté et de confiance absolues, que le récit biblique a jusqu’ici portés de verset en verset, s’estompent, puis s’inversent. C’est peut-être précisément en raison de  cette exceptionnelle proximité qui a longtemps caractérisé les rapports de Salomon et des Israélites, qu’à présent un événement somme toute mineur prend des allures funestes ; Salomon avait institué une taxe à la brèche de la cité de David, obligatoire, brèche aménagée par David, devenue porte utilisée par les gens du peuple désirant rencontrer le roi, ou aller prononcer une prière au Temple. Cette mesure, la taxe, sera, ni plus ni moins, fatale à l’avenir du royaume. En condamnant ce point de passage traditionnellement utilisé, Salomon révisait radicalement sa politique. Le peuple murmura, Jéroboam sût se mettre à l’écoute de ces murmures, leur conféra une dangereuse ampleur qui aboutit à la rupture entre Salomon et les Israélites.