1 Rois 16,29 – 17,16

Ars, un îlot de sainteté

Philippe Boutry

Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, Tome 12, p. 10s

         

          Renverser le respect humain, la fausse honte, disent les textes spirituels du Grand siècle, tel fut bien le sens du projet missionnaire du curé d’Ars en sa paroisse. Le village offrira bientôt aux visiteurs, sans cesse plus nombreux, ce spectacle étrange et consolant d’un îlot de sainteté : offices suivis avec exactitude, respect des commandements de Dieu, confréries nombreuses et ferventes, vies scandées par l’Angelus, le Bénédicité, la récitation du Rosaire. Monsieur Vianney, nous rapporte un curé du voisinage, aimait à dire que le salut est facile aux personnes de la campagne. Il leur apprenait pour cela à prier en travaillant. La conversion se vit à Ars sur le mode de l’unanimité : seuls sept ou huit habitants sur près de cinq cents négligent de faire leur Pâques en 1855, et processions et solennités réunissent presque tout entier le peuple d’Ars autour de son saint curé.

          Le 6 août 1823, Monsieur Vianney conduit les deux tiers de sa paroisse, en procession, précédés de trois belles bannières, chantant des cantiques, des hymnes, et récitant le chapelet, en pèlerinage au sanctuaire marial de Fourvière, au-dessus de Lyon. Les gens se pressaient sur notre passage et manifestaient leur étonnement, se souvient Guillaume Villier : le pèlerinage collectif de la paroisse sanctifiée prélude à l’irruption progressive des foules fidèles au sanctuaire d’Ars. Car la naissance du pèlerinage constitue à proprement parler une rupture, un retournement : à l’espace restreint de l’îlot de sainteté, se substitue l’espace illimité où résident les pénitents étrangers du saint confesseur. A la conception statique d’un univers, clos sur ses vertus, fait place le mouvement dynamique qui porte, de toute la France catholique, les catholiques vers Ars. Le saint curé devient le saint, et cet itinéraire que nul, et surtout pas lui-même, n’aurait pu prévoir, n’est pas le moindre mystère de cette existence.

          A l’origine de cette mutation, il y a une rumeur, une réputation, une fama sanctitatis, pour parler comme les clercs du Moyen Age, à laquelle tant de pèlerins savants rapportent l’histoire de Monsieur Vianney. Le merveilleux envahit la paroisse, et transforme le sens d’une vie.