Luc 3, 23-38
Les généalogies de Jésus
Cardinal Jean Daniélou
Les évangiles de l’enfance, p. 18s
Les auteurs des évangiles sont des historiens. Tout historien donne toujours une interprétation des faits ; c’est ce que font nos auteurs des généalogies, au moyen des procédés qui étaient ceux de la culture de leur temps. Il est évident pour eux que la généalogie n’est pas un élément du kérygme de la communauté primitive ; elle a pour base des documents historiques, et ce sont les évangélistes qui les ont recherchés. C’est une preuve de l’enquête historique à laquelle se sont livrés Matthieu et Luc, et qui vaut pour l’ensemble des évangiles de l’enfance. Ce n’est pas aux apôtres qu’est empruntée la généalogie, mais certainement aux archives de la famille de Jésus, nous rapporte Eusèbe de Césarée dans son Histoire Ecclésiastique. Et nous savons par Hégésippe la place importante, sinon encombrante, que cette famille occupait dans la communauté judéo-chrétienne primitive. C’est la mentalité occidentale, l’ignorance du judéo-christianisme, l’absence de sens sémitique qui ont égaré tant de commentateurs dans l’interprétation des évangiles. Ils y ont projeté leurs catégories platoniciennes, cartésiennes, hégéliennes, heideggériennes. Et on comprend dès lors que tout se soit troublé dans leur esprit !
La généalogie montre le caractère absolument privilégié de l’Incarnation, qui est le kaïros, le moment décisif, l’intervention essentielle de Dieu dans l’histoire. Mais elle montre en même temps que ce kaïros est le centre de l’histoire du salut, c’est-à-dire qu’il est préparé par l’Ancien Testament, et qu’il sera suive par l’Eglise. Ce qui est objet de foi est donc une histoire sainte objective dont l’Incarnation est le centre et non simplement une rencontre personnelle avec le Christ, pour laquelle les événements objectifs de l’histoire sainte n’auraient pas d’importance. Tel est notre regard de foi qui donne un sens sur la généalogie de Jésus ; sans ce regard de foi, la généalogie n’est plus qu’une pièce dérisoire de folklore.