Esther 4, 9-16

Un choix décisif

Jean-Daniel Macchi

Esther, le courage et la ruse, CE 190, p. 33s

 

                Le dialogue entre Esther et Mardochée est rédigé comme si les deux protagonistes se trouvaient l’un en face de l’autre ; Hatak, l’eunuque mis au service d’Esther, qui servait l’intermédiaire entre Esther et son oncle, n’est plus mentionné. Désormais les discours à la deuxième personne du singulier remplacent les formulations indirectes et les discours rapportés. Cette façon de décrire l’échange suggère que le formalisme de la cour est abandonné au profit d’une relation directe et d’une discussion cœur à cœur.

                   La réponse de Mardochée à Esther constitue un des passages clés du livre. Mardochée dénonce d’abord l’espoir qu’Esther pourrait avoir d’échapper seule au massacre grâce à sa situation privilégiée à la cour ; la suite de son discours vise à la convaincre de ne pas se taire, mais à risquer sa vie pour le salut de son peuple. La dernière partie suggère la possibilité qu’Esther soit devenue providentiellement reine pour contribuer au salut de son peuple. La réponse d’Esther montre qu’elle accepte d’aller plaider la cause de son peuple et qu’elle se prépare à assumer l’incertitude et le risque mortel lié à cette démarche : Si je dois mourir, je mourais (4,16).

                   Dès lors, elle prend en main son destin et celui de sa communauté. C’est elle qui ordonne aux membres de la communauté de pratiquer un rite de jeûne. Comparé à la situation où Esther obéissait à Mardochée, l’inversion est complète, puisque c’est Mardochée qui accomplit tout ce qu’Esther lui avait ordonné (4,17).

                   Le jeûne pratiqué par les Juifs menacés contraste avec les nombreux banquets dont profitent ceux qui bénéficient de la bienveillance et de la gloire de l’Empire. En outre la date à laquelle il a lieu fait sens. En effet, l’édit d’Haman est proclamé le 13 Nissan à la suite de quoi les événements du chapitre 4 s’enchaînent sans interruption. Les trois jours de jeûne se déroulent donc du 13 au 15 Nissan, à savoir durant la période qui devrait être celle de la commémoration du salut de la sortie d’Egypte et du rite festif de la Pâque juive. En faisant de la Pâque de la douzième année d’Ahashwérosh une période de jeûne, les rédacteurs du livre soulignent que l’existence même du judaïsme est remise en question.

                   Bien que la question de ce jeûne ne soit pas explicitée, on comprend qu’il s’agit d’une préparation à l’incertitude liée à la prise d’un risque vital. Comme le jeûne fait partie des pratiques de deuil, celui d’Esther pourrait anticiper l’éventualité de l’échec et de la mort. Cependant, il pourrait aussi constituer un geste d’espoir et une demande de secours providentiel.