Sur Jérémie 26,1-15 et Jean 12,1-11
L’onction de Béthanie
Grégoire le Grand
Homélies sur l’Evangile, tome II, Sources Chrétiennes 522, p. 299s

En réfléchissant sur la pénitence de Marie, j’ai plus envie de pleurer que de parler. Quel est celui dont les larmes de cette pécheresse n’attendriraient pas le cœur de pierre pour qu’à son exemple il se repente ? Elle considéra ce qu’elle avait fait, et ne voulut pas mesurer ce qu’elle allait faire. Elle entra parmi les convives, elle vint sans être invitée, au milieu d’un banquet elle offrit des larmes. Apprenez quelle douleur la brûle, elle qui ne rougit pas de pleurer même au milieu d’un banquet. Cette femme, Luc l’appelle pécheresse, Jean la nomme Marie, et nous croyons qu’il s’agit de cette Marie dont Marc assure que sept démons avaient été chassés. Or, que désigne les sept démons, sinon l’ensemble des vices ? Comme le temps tout entier est renfermé en sept jours, le nombre sept représente bien l’universalité. Marie a donc eu sept démons, puisqu’elle fut remplie de tous les vices. Marie voici qu’elle regarda la honte de ses souillures, elle courut les laver à la source de la miséricorde, sans rougir de la présence des convives. Qu’admirons-nous donc, frères : Marie qui vient, ou le Seigneur qui l’accueille ? Dirai-je : qui l’accueille ou qui l’attire ? Je dirai mieux : qui l’attire et qui l’accueille, car celle qu’il a attirée au-dedans par sa miséricorde, il l’a accueillie au-dehors avec douceur.
Cette femme, livrée jusque-là à des activités licencieuses, utilisait de l’huile de senteur pour parfumer son corps. Ce qu’elle s’était accordé pour sa honte, elle l’offrait maintenant en louange à Dieu. Ses yeux avaient servi ses convoitises terrestres, elle les usait maintenant par les larmes de la pénitence. Elle avait fait montre de ses cheveux, se composant un visage ; maintenant, de ses cheveux, elle essuyait ses larmes. Sa bouche avait prononcé des paroles orgueilleuses, mais, embrassant les pieds du Seigneur, elle la collait maintenant aux pas de son Rédempteur. Elle convertit en autant de vertus ses nombreux vices, afin de mettre au service de Dieu, dans la pénitence, tout ce par quoi elle avait méprisé Dieu dans le péché.
Frères, que pensez-vous qu’est l’amour, sinon un feu ? Et le péché, sinon une rouille ? Et le Seigneur de penser que cette pécheresse a totalement consumé la rouille du péché, puisqu’elle brûle désormais ardemment du feu de l’amour. Celle qui était venue malade vers le médecin est guérie, d’autres sont maintenant malades de sa guérison. Le médecin céleste ne regarde pas les malades dont il voit que le médicament même les rend pires. Quant à celle qu’il a guérie, il la fortifie par des paroles de bonté.