Sur Philippiens 1, 12-26
« Pour moi, vivre c’est le Christ »
Enzo Bianchi
Vivre, c’est le Christ, la lettre aux Philippiens, p. 37s

Paul évoque sa situation de prisonnier : c’est pour lui une occasion de proclamer avec plus de force l’Evangile, et de rappeler qui, s’il est dans les chaînes, l’Evangile, lui, ne l’est pas. Une telle certitude de l’Apôtre nous interroge de façon percutante : croyons-nous vraiment que, dans une période de persécution, l’Evangile est encore plus efficace, autrement dit que l’Eglise est bien plus libre quand elle est prise en otage qu’elle ne l’est quand elle s’installe dans un régime de chrétienté ? C’est vrai, jamais la parole de l’Evangile ne se révèle aussi efficace que lorsqu’elle assume les marques de la croix et devient la Parole de la Croix.
En prison, Paul se voit contraint de méditer aussi sur sa propre mort et d’affronter une telle question, la question qui est au cœur de l’existence humaine, avec les yeux de la foi. Cette réflexion de l’Apôtre nous révèle avant tout qu’il n’existe rien de si radical et subversif que de méditer sur sa mort : en vérité, chacun de nous peut réellement comprendre le sens de sa vie, seulement s’il se place devant la perspective de la mort qui l’attend. En outre, pour un chrétien, la méditation de la mort coïncide exactement avec la méditation sur la vie éternelle, le vrai « gain » de son existence : tout cela dévoile à nos yeux la perspective du « sens du sens », car si la vie éternelle existe comme pleine communion, comme amour sans oppositions, alors le sens de notre vie sur la terre peut lui aussi trouver un sens…
Quand nous pensons aux protagonistes de l’histoire du Salut, nous sommes tentés, à cause de la distance qui nous sépare d’eux et de la notoriété qu’ils ont acquise à nos yeux, d’idéaliser leur aventure, comme s’ils avaient facilement reçu estime et unanimité de la part de leurs contemporains. En réalité, leur trajectoire humaine apparaît marquée par des conflits et des tensions, et ils ont supporté jalousies et concurrences, hostilités et malveillances ; aussi les apôtres ont connu des situations qui menaçaient la prédication de l’Evangile et les communautés qui leur étaient confiées, en plus des menaces qui pesaient sur leur propre vie.
En particulier, toutes les lettres de Paul témoignent des vicissitudes désolantes entre l’Apôtre et ses communautés, entre l’Apôtre et les apôtres qui sont à Jérusalem, entre l’Apôtre et ses adversaires, qu’ils soient juifs ou païens. Ne sont presque jamais précisés les détails de ces conflits, toutefois, la vie apostolique se déploie toujours sur fond de contradiction, marquée par l’action du mal qui est cause d’inimitié et d’incompréhension. Même dans la lettre qui nous lisons en ce moment, après la salutation et la prière, Paul insère des informations sur les événements qui se sont produits, et se voit contraint à en donner une lecture personnelle, pour compenser des interprétations intéressées et hostiles.