Sur Jonas 1,1 – 2,11
La leçon de Jonas
Dom Irénée Fransen
Le livre de Jonas, BVC 40, p.35s

Pourquoi ce conte, cette parabole ? Le conte est un genre littéraire qui semble devoir s’imposer lorsqu’il s’agit de faire entendre, sans trop heurter les positions établies, un enseignement révolutionnaire. Ainsi en est-il de Jonas. Les Actes des Apôtres montrent assez quelles difficultés éprouvèrent les premiers chrétiens à admettre que Dieu a donné même aux païens la repentance qui mène à la vie (11,18). S’il en était ainsi après que le Christ fut venu, eût annoncé la Bonne Nouvelle, fût mort et ressuscité, si l’universalité de son message rencontrait même chez ses intimes de telles incompréhensions, combien plus était-il ardu pour un prophète dont l’intuition religieuse avait poussé jusque dans ses dernières conséquences la loi de la miséricorde divine, de se faire entendre, combien était-il nécessaire qu’il choisît son langage.
Il n’est pas de prophète en Israël qui n’ait rompu quelques lances avec les nations païennes ; mais l’intransigeance du monothéisme fut bien proche parfois de la haine, non pas du paganisme, mais du païen. Comme l’auteur du livre de Ruth, l’auteur du livre de Jonas semblé réagir contre une déviation doctrinale ; refusant le ghetto du particularisme, il affirme sans ambages que la bienveillance du Dieu vivant s’étend à toutes ses créatures et que rien, par conséquent, ne devrait séparer un homme d’un autre homme, son frère : à force de séparer le peuple de Dieu de l’ensemble des païens, on séparait aussi les païens de Dieu lui-même ; un particularisme de plus en plus outrancier risquait de faire de la religion du Dieu universel une religion de ghetto ; les murs de Jérusalem devenaient des barrières vraiment infranchissables entre les Juifs et les nations. Dans un monde en pleine effervescence, il y avait cependant mieux à faire que de se barricader dans une autarcie religieuse.
Cette réunion se situerait assez vraisemblablement après le retour de l’exil. Le rigorisme tatillon des restaurateurs dut froisser ceux qui, dans le creuset de l’exil, avaient souffert de l’étroitesse de certaines attitudes religieuses et pressenti que la miséricorde du Dieu d’Israël était assez grande pour s’étendre à l’univers, à tout homme. A travers une mise en scène habile et colorée, on devine ici la nouveauté et la profondeur religieuse que ce récit apporte à l’ancienne théologie d’Israël. On avait cru que pour être sauvé il suffisait d’appartenir au sang d’Abraham, le livre de Jonas nous dit qu’il suffit d’appartenir au cœur de Dieu et que tous les hommes, même les ennemis les plus farouches du Peuple élu, sont convoqués au salut d’Israël. Encore faut-il les y inviter. Le livre de Jonas est comme l’annonce d’une Pentecôte universelle.