Sur Qohélet 7,1 – 8,1a
Le rire humain, écho du rire de Dieu

Karl Rahner
L’homme au miroir de l’Année liturgique, p. 83s

Que dire de ce rire inoffensif et innocent des enfants de Dieu ?
Si c’est la loi de tout ce qui se passe ici-bas d’être figure et parabole, cela vaut même de ce rire joyeux et sans grande signification qui éclate à travers la banalité de notre vie quotidienne. Et ici, nous n’avons nullement à inventer nous-mêmes une telle signification parabolique : l’analogie est réelle, et exprimée en toutes lettres dans le livre de la Parole de Dieu.
Voyez en effet l’usage que fait l’Ecriture du rire ; du rire, pas du simple sourire ; du rire, pas de la joie paisible que donne la confiance. De cette humble créature appelée, semble-t-il, à se dissoudre sans bruit dans le néant, au seuil des parvis éternels, elle a fait une image, une comparaison destinée à nous révéler les pensées intimes de Dieu lui-même ; au point que l’on serait tenté de craindre qu’elle n’attribue à Dieu jusqu’au rire dur, amer et méprisant de l’orgueil. Nous lisons en effet dans les psaumes que Celui qui trône dans les Cieux se rit des impies (2,4) ; que le Tout-Puissant se rît de l’insensé, car il voit venir son jour (37,15) ; pensée à laquelle fait écho le livre de la Sagesse lorsqu’il annonce que Le Seigneur se rira des méchants (4,18).
Ainsi donc Dieu rit, du rire de celui dont rien ne peut troubler la sérénité et la sécurité, tant il est à l’abri de toute menace. Dieu rit, du rire de sa condition divine, qui domine du haut de sa transcendance le labyrinthe de sang et de cruauté stupide qu’est l’Histoire du monde. Dieu rit. Notre Dieu rit. D’un rire détendu, du rire de quelqu’un qui sait de quoi il retourne, et qui semble se divertir au spectacle que lui offre notre vallée de larmes
Dieu rit, nous dit l’Ecriture, attestant ainsi que, dans le moindre rire, dès lors qu’on prend le son pur d’un cœur bon, devant l’une ou l’autre des sottises dont est capable notre monde, il y a encore une image et un reflet de Dieu, une sorte de décalque de ce Dieu vainqueur et seigneur de l’Histoire et de l’éternité. Une fois de plus, le rire humain, écho de ce rire divin qui constituera le verdict définitif sur toutes les Histoires, chante la gloire de Dieu.