Mémoire de sainte Agnes

Le martyr d’Agnès

Saint Ambroise
Histoire des saints, tome II, La semence des martyrs, p. 64

On rapporte qu’elle subit le martyre à douze ans. Cruauté d’autant plus odieuse qu’elle n’a pas épargné même l’âge le plus tendre, ou plutôt grande force de la foi qui a trouvé un témoin jusque dans cet âge-là ! En un si petit corps, y avait-il place pour une blessure ? Et comment celle en qui le glaive ne trouvait pas de lieu où pénétrer, eut-elle la ressource de triompher du glaive ?
Sans craindre la main sanglante des bourreaux, impassible au milieu du grincement des lourdes chaînes qu’on tire, tantôt elle offre tout son corps à l’épée du soldat furieux, ne sachant pas encore ce qu’est la mort, mais prête si on l’entraîne malgré elle aux pieds des autels, à tendre ses mains vers le Christ au milieu des flammes et à former ainsi, sur les bûchers sacrilèges, le signe du Seigneur victorieux ; tantôt elle passe son cou et ses deux mains dans des chaînes de fer, mais aucun lien ne pouvait enfermer des membres si graciles.
Voici un martyr d’un genre nouveau : elle n’avait pas encore l’âge requis pour le supplice, mais elle était déjà mûre pour la victoire ; le difficile pour elle était de pouvoir combattre, mais remporter la victoire était aisé : elle devint maîtresse de vertu malgré l’obstacle de l’âge.
La jeune mariée ne se hâterait pas vers la couche nuptiale avec l’empressement que cette vierge mit à s’avancer, joyeuse de se présenter d’un pas alerte au lieu de son supplice, la tête parée non d’une chevelure bouclée, mais du Christ, couronnée non pas de tendres fleurs, mais de ses vertus. Tout le monde pleure, elle seule ne verse pas une larme ; la plupart s’étonne que si facilement prodigue de sa vie, elle en fasse don comme si elle l’avait déjà épuisée, alors qu’elle n’y a pas encore goûté. Tous sont saisis de stupeur en voyant témoigner pour Dieu une fillette qui, en raison de son âge, ne pouvait pas encore disposer d’elle-même. Bref, elle a obtenu qu’on ajoutât foi à son témoignage en faveur de Dieu, ce qu’elle n’aurait pas obtenu à son âge s’il s’était agi d’un homme : c’est que ce qui dépasse la nature révèle l’auteur de la nature.
De quelles terrifiantes menaces usa le bourreau pour l’épouvanter, de quelles caresses pour la persuader, combien firent des vœux pour avoir la chance de l’épouser ! Mais elle de s’écrier : C’est un affront pour l’époux que d’attendre celle qui doit lui plaire. Celui qui le premier m’a choisi m’obtiendra. Pourquoi, bourreau, tardes-tu ? Que périsse ce corps que peuvent aimer des regards dont je ne veux pas.
Debout, en prière, elle fléchit la nuque. On pouvait voir le désarroi du bourreau, comme si c’était lui le condamné à mort, la mais de l’exécuteur trembler, et pâlir le visage de qui craignait le péril d’autrui, alors que la fillette ne craignait pas celui qui la menaçait.