Sur Job 40,6-24 . 42,1-6
Solidité, stabilité dans l’amitié spirituelle
Aelred de Rievaulx
L’amitié spirituelle, Livre III, n° 5-8, p.56s

A l’amour spirituel, nous devons donner un fondement solide, sur lequel on puisse poser les composantes de celle-ci. Nous élevant en ligne droite vers son sommet, faisons bien attention à ne pas négliger ce fondement et de ne pas nous en écarter. Ce fondement, c’est l’amour de Dieu : c’est à lui qu’il faut rapporter tout ce que l’amour ou le sentiment d’attirance nous suggère, toutes les pensées secrètes qui nous viennent à l’esprit, tout ce qu’un ami nous conseille ouvertement. Il faut veiller soigneusement à ce que les éléments de la construction conviennent à ce fondement ; tout ce qui pourrait s’en éloigner, on n’hésitera absolument pas à le ramener à cet archétype et à le corriger en fonction de lui.
Nous ne devons pourtant pas prendre en amitié tous ceux que nous aimons, car ils ne sont pas tous aptes à cela. En effet, un ami est quelqu’un qui participe à ce que tu vis ; tu unis et tu attaches ton esprit au sien, au point de vouloir ne plus faire qu’un en les mêlant l’un à l’autre ; tu te confies à lui comme à un autre toi-même, tu ne lui caches rien, tu ne redoutes rien de sa part. Il faut donc avant tout choisir quelqu’un que tu estimes capable de tout cela, il faut ensuite le mettre à l’épreuve et enfin l’admettre. Car l’amitié doit être stable et présenter comme un reflet de l’éternité par sa persévérance dans l’affection. C’est pourquoi, nous ne devons pas changer d’amis au gré de nos lubies, à la manière des enfants. Il n’y a pas d’être plus abominable que celui qui lèse l’amitié ; il n’y a pas de tourment plus affreux que d’être abandonné ou attaqué par un ami. Il faut donc le choisir avec le plus grand soin, et le mettre à l’épreuve avec la plus grande circonspection. Cependant, une fois que tu l’auras admis, tu devras le supporter, le traiter et le suivre de telle sorte que, aussi longtemps qu’il ne s’est pas définitivement écarté du fondement indiqué plus haut, il soit à toi et toi à lui, pour les choses aussi bien matérielles que spirituelles, et qu’il n’y ait entre vous aucun désaccord sue le plan de la pensée, des sentiments, de la volonté, des manières de voir.
Tu vois donc qu’il y a quatre échelons pour accéder à la perfection de l’amitié : le choix, la mise à l’épreuve, l’admission, et la pleine conformité des sentiments, accompagnée de bienveillance et de charité, à propos des choses divines et humaines.