Sur Qohélet 5,9 – 6,8
« Qui aime l’argent n’a pas assez d’argent »
Jacques Ellul
La raison d’être, Méditation sur l’Ecclésiaste, p. 86s

La seconde grande vanité : l’argent. La pensée de Qohélet est ici plus facile à accepter. L’essentiel tient dans la contradiction de fond : l’argent permet tout et l’argent est vanité. Rien n’échappe à l’argent. L’argent peut tout posséder, tout acheter. Pas de moralisme, pas de spiritualisme, par d’évasion, pas d’illusion. Et cela trouvera son écho des centaines d’années plus tard dans la fin de l’Apocalypse : l’argent permet d’acheter aussi des corps et des âmes d’hommes… Salomon ne porte aucune espèce de jugement, lui, roi de Jérusalem, le riche, le bâtisseur, il a su utiliser le pouvoir total, illimité de l’argent. Il le déclare au début, précisément pour pouvoir nous dire après : Je sais d’expérience que tout ça n’est rien. L’argent : le bonheur, l’architecture, les palais, les plantations, les jardins, les fruitiers, les grands travaux, les irrigations, l’achat d’hommes et de femmes esclaves et serviteurs, les beaux-arts, les musiciens, les chanteurs. Il faut remarquer dans cette énumération l’admirable gradation, du plan matériel au plan spirituel. Avec sa grande richesse, Salomon a tout fait. Et il constate avec satisfaction que, tout ceci achevé, ma Sagesse me resta. Er cette sagesse le conduit alors brutalement à conclure : Tout est vanité et poursuite de vent. Tout cela n’était donc rien ; mais alors nous demanderons : En quoi est-ce vanité ? Ici, pour un temps, les arguments sont banals, seulement les constatations du sens commun.
On n’est jamais rassasié de l’argent : courir après l’argent est infini, on ne peut jamais dire : c’est assez. Qui aime l’argent ne se rassasiera pas de l’argent. Il n’y a pas de plénitude à jamais acquise par l’argent. Il n’y a jamais aucune limite à l’argent, parce que pour tracer une limite, pour fixer un moment d’arrêt, il faut une maîtrise, une Sagesse.
Ce même texte s’orne cependant d’ironie. On ne peut cesser de conquérir toujours plus, soit. Mais cet argent, a quoi va-t-il servir ? La question reste bien celle-là : pourquoi aimer l’argent ? Jésus reprendra pour l’argent la mise en question de l’amour : Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. Vous ne pouvez aimer en même temps Dieu et l’argent. NI les servir ! Qohélet, lui, s’en tient à l’absurdité de cette conduite…