sur Judith 13,4 – 14,3
Lettre à Marie Guérin

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
Œuvres Complètes, Lettres, Le Noviciat, p. 414s

Ma chère petite Marie, remercie bien le bon Dieu de toutes les grâces qu’il te fait et ne sois pas assez ingrate pour ne pas les reconnaître. Tu me fais l’effet d’une petite villageoise qu’un roi puissant viendrait demander en mariage et qui n’oserait accepter, sous prétexte qu’elle n’est pas assez riche et assez formée aux usages de la cour, sans faire la réflexion que son royal fiancé connaît sa pauvreté et sa faiblesse beaucoup mieux qu’elle ne la connaît elle-même. Marie, si tu n’es rien, il ne faut pas oublier que Jésus est tout, aussi il faut perdre ton petit rien dans son infini tout et ne plus penser qu’à ce tout uniquement aimable. Il ne faut pas désirer non plus de voir le fruit recueilli de tes efforts : Jésus se plaît à garder pour lui seul ces petits riens qui le consolent. Tu te trompes si tu crois que ta petit Thérèse marche avec ardeur sur le chemin de la vertu : elle est faible et bien faible, tous les jours elle en fait une nouvelle expérience, mais Marie, Jésus se plaît à lui enseigner, comme à saint Paul, la science de se glorifier dans ses infirmités ; c’est une grande grâce que celle-là, et je prie Jésus de te l’enseigner ; car là seulement se trouve la paix et le repos du cœur, quand on se voit si misérable, on ne veut plus se considérer et on ne regarde que l’unique Bien-Aimé !
Ma chère petite Marie, pour moi je ne connais pas d’autre moyen pour arriver à la perfection que L’Amour. Aimer, comme notre cœur est bien fait pour cela ! Parfois, je cherche un autre mot pour exprimer l’amour, mais sur la terre d’exil, les paroles sont impuissantes à rendre toutes les vibrations de l’âme ; aussi il faut s’en tenir à ce mot unique : « Aimer ».
Mais à qui notre pauvre cœur affamé d’Amour le prodiguera-t-il ? Ah ! Qui sera assez grand pour cela…, un être humain pourra-t-il le comprendre…, et surtout saura-t-il le rendre ? Marie, il n’y a qu’un être qui puisse comprendre la profondeur de ce mot : Aimer ! Il n’y a que notre Jésus qui sache nous rendre infiniment plus que nous lui donnons…