Sur Romains 6, 12-23
De la loi à la grâce
Guillaume de Saint-Thierry
Exposé sur l’épître aux Romains, SC 544, p.347s

Vous n’êtes plus sous la Loi, mais sous la grâce (6,14). La Loi a été donnée pour que la grâce soit recherchée. La grâce a été donnée pour que la Loi soit accomplie. Si la Loi n’est pas accomplie, ce n’est pas en raison d’un vice qui viendrait d’elle, mais à cause de ce vice qu’est la prudence de la chair. Ce vice, manifesté par la Loi, fut guéri par la grâce. Le péché dominait sur ceux qui étaient établis sous la Loi, non sous la grâce ; et ce n’est pas la Loi, mais la grâce qui rend l’homme libre à l’égard du péché. Non parce que la Loi est mauvaise, mais parce que ceux qui sont sous sa coupe, la Loi les rend coupables en ordonnant et en n’aidant pas. La grâce, assurément, vient en aide à chacun pour qu’il soit un pratiquant de la Loi, tandis que, sans elle, quiconque est établi sous la Loi, sera seulement auditeur de la Loi.
Quoi donc ? Pècherons-nous parce que nous ne sommes pas sous la Loi, mais sous la grâce (6,15) ? Le sens ici paraît être le même que quand l’Apôtre dit : Quoi donc, Demeurons-nous dans le péché pour que la grâce abonde (6,16) ? Les deux propositions semblent différer seulement en ceci : là, l’Apôtre paraît s’adresser à des gens qui n’ont pas encore abandonné le péché pour qu’ils n’y demeurent pas ; mais ici, la question semble posée à des gens qui ont déjà quitté le péché ? De même là, c’était en quelque sorte pour faire abonder la grâce qui n’existait pas encore ; mais ici, l’Apôtre parle de la grâce comme déjà présente, puisque nous ne sommes pas sous la Loi, mais sous la grâce.
Pas du tout ! Ne savez-vous pas que, quand vous vous présentez à quelqu’un comme esclaves pour obéir, vous êtes esclaves de celui à qui vous obéissez, soit du péché pour la mort, soit de l’obéissance pour la justice (6,15-16). Peut-être que la phrase : soit du péché…, soit de l’obéissance pour la justice, semble avoir moins de pertinence. Il semblerait qu’il aurait fallu dire plutôt : « soit du péché…, soit de la justice par le moyen de l’obéissance ». Mais, puisque le sens est évident, il est superflu de s’attacher à la lettre. Voici donc ce que l’Apôtre enseigne : de quelque côté que chacun oriente son obéissance, vers la justice ou vers le péché, il s’y abandonne comme esclave ? Assurément, il faut se garder d’une chute volontaire ou d’un saut téméraire dans le péché. Une fois commis ; le péché produit une plus grande volupté, la volupté appelle le renouvellement, le renouvellement produit l’habitude volontaire, et l’habitude, la tyrannie et l’esclavage. Il est donc en notre pouvoir, si nous le voulons, de nous charger du joug de l’esclavage, mais non, lorsque nous le voulons, de le rejeter après l’avoir accepté.