sur Isaïe 26, 7-21

Le Cantique spirituel

Saint Jean de la Croix

Œuvres complètes, p. 1201s

 

Ah, qui donc pourra me guérir ! Achève enfin de te donner ! Et garde-toi de m’envoyer dorénavant des messagers, car tout ce qu’on me dit ne peut me contenter.

Tous ces passants qu’ici l’on voit disent des merveilles de toi, mais tous ne font que me blesser, et ce qui me laisse mourante, c’est un je ne sais quoi qu’ils vont balbutiant.

Comment peux-tu te soutenir, ô ma vie, sans vivre où tu vis ? Elles devraient t’ôter la vie, ces flèches qui te sont lancées, t’apportant de l’Aimé des concepts si exquis.

Pourquoi, toi qui blessas mon cœur, refuses-tu de le guérir ? Et puisque tu me l’as volé, pourquoi donc ainsi le laisser et que n’emportes-tu le larcin dérobé ?

Eteins, je t’en prie, mes ennuis, car nul autre n’en est capable, et que mes yeux enfin te voient, toi leur lumière véritable, car pour toi, seulement, j’en veux avoir l’usage.

Ah, découvre-moi ta présence ! Que ta beauté m’ôte la vie ! Tu le sais bien, la maladie d’amour ne peut être guérie sinon par la présence et la figure aimée.

O toi, fontaine cristalline, soudain dans tes traits argentés que ne fais-tu donc apparaître les yeux ardemment désirés que je porte en mon cœur déjà tout ébauchés !

Détourne-les, mon Bien Aimée ! Je vole.

L’Aimé, c’est pour moi les montagnes, les vallons boisés, solitaires, toutes les îles étrangères et les fleuves retentissants, c’est le doux murmure des brises caressantes.

Il est pour moi la nuit tranquille, semblable au lever de l’aurore, la mélodie silencieuse, et la solitude sonore, le souper qui recrée, en enflammant l’amour.

Donnez la chasse à ces renards, car voici notre vigne en fleurs, de nos roses, en attendant, faisons une pomme de pin : que sur la montagne personne ne paraisse.

Tiens-toi bien caché, doux Ami, présente ta face aux montagnes et ne dis mot, je t’en supplie, regarde plutôt le cortège de celle qui voyage vers les îles étrangères.