Sur Matthieu 6,1-6.16-18

« Convertis-toi »

Saint Bernard

Sermon II pour le carême, SC 567, p. 133s

 

Convertissez-vous vers moi de tout votre cœur, dit le Seigneur. S’il avait dit : convertissez-vous vers moi, sans ajouter de précisions, peut-être aurions-nous pu lui répondre en toute liberté : « C’est fait ! Commande-nous maintenant autre chose ». Mais maintenant, si je comprends bien, c’est une conversion spirituelle que le Seigneur nous demande, et pareille conversion ne s’accomplit pas en un jour : puisse-t-elle au moins s’achever au cours de toute la vie que nous passons en ce corps. Car la conversion du corps, à elle seule, est nulle ; elle est formaliste, elle manque d’authenticité, elle demeure sans force et ne présente qu’une apparence de relation à Dieu. Misérable l’homme tout entier investi dans les choses extérieures, et ignorant sa propre intériorité : Se croyant quelque chose alors qu’il n’est rien, il se trompe lui-même ! Je me suis répandu comme de l’eau, dit le psalmiste en la personne de cet homme, et tous mes os ont été dispersés. Et un autre prophète dit : Des étrangers ont dévoré sa force sans qu’il s’en aperçoive. En effet, ne regardant que la surface extérieure, il estime que tout va bien pour lui, il ne sent pas le ver caché qui le ronge à l’intérieur. Il garde la tonsure, il n’a pas encore rejeté l’habit, il observe les jeûnes prescrits, il psalmodie aux heures fixées, mais son cœur est loin de moi, dit le Seigneur.

Toi, fais très soigneusement attention à l’objet de ton amour, de ta crainte, de ta joie ou de ta tristesse ; ton cœur est tout entier constitué de ces quatre affections, et je crois que c’est d’elles qu’il est question quand il t’est dit de te convertir vers le Seigneur de tout ton cœur. Que ton amour se convertisse donc, de manière que tu n’aimes absolument rien sinon le Seigneur. Que ta crainte aussi se convertisse vers lui, car toute crainte est pervertie qui te fait craindre quelque chose qui ne soit pas lui ou pour lui. De même que ta joie et ta tristesse aussi se convertissent vers lui : ce qui se fera si tu ne te réjouis ou ne t’attristes qu’en fonction de lui ; si tu te réjouis des dons de la grâce, cette joie est sainte, c’est une joie sûre dans l’Esprit Saint. Tu dois aussi, dans l’amour du Christ, te réjouir du bonheur de tes frères, t’affliger avec eux de leurs épreuves, ainsi qu’il est écrit : Se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, pleurer avec ceux qui pleurent.