Les Actes des Apôtres 19, 21-40

L’amour plus fort que tout

Saint Augustin

Lettres n° 192, 1-2 au diacre Célestin, OC 6, p. 17s

       Voyez comme les orfèvres d’Ephèse aimaient l’argent ; ce n’est pas la déesse Artémis qu’ils aimaient, mais les bénéfices qu’ils en tiraient ! Et voilà qu’avec l’enseignement de Paul, leurs ventes s’amenuisent, les voilà pleins de dettes. Pour vous, frères, l’amour de Dieu comme l’amour des autres surpassent tous les autres. Cet amour-là est la seule dette qui ne s’efface pas, quoiqu’on la paie ; on reste toujours débiteur. On a beau s’en acquitter, on la doit encore quand on l’a payée, car il n’existe aucun moment où l’on n’en serait pas redevable. Quand on la paie en retour, l’amour ne diminue pas, au contraire il se multiplie. C’est un sentiment qui s’accroît dans le cœur de l’homme à mesure qu’on en donne des preuves, et qui devient d’autant plus grand que davantage de personnes en sont l’objet. Et comment pourrait-on manquer d’amour pour le Seigneur, comment pourrait-on manquer d’amour pour ses amis, alors que l’on en doit à ses ennemis ? Envers les ennemis, l’amour est un devoir dont on s’acquitte avec précaution ; des amis, eux, s’aiment en toute sécurité. L’amour cependant fait de son mieux pour être payé en retour, même par ceux auxquels est rendu le bien pour le mal. En effet, on n’aime sincèrement un ennemi que pour en faire un ami, c’est-à-dire pour le rendre bon, ce qu’il ne deviendra qu’en chassant de son cœur le mal de l’inimitié.

          Il n’en va pas de l’amour comme de l’argent. L’argent diminue à la mesure des dépenses, mais l’amour, plus on en donne, plus il augmente. Il y a encore une différence : on aime d’autant plus ceux à qui on donne de l’argent qu’on ne cherche à le récupérer ; mais en ce qui concerne l’amitié, on exige autant qu’on donne. L’argent restitué est un gain pour qui le reçoit, une perte pour qui le rend ; l’amour, lui, grandit dans le cœur de la personne aimée, mais ceux dont nous attendons l’affection en réponse à la nôtre ne la possèdent qu’à partir du moment où ils commencent à la rendre. Voilà pourquoi, frères, je suis heureux de cet amour mutuel donné et reçu avec joie.