Esther 3, 1-11

Le complot de Haman

Jean-Daniel Macchi

Le livre d’Esther, p. 250s

 

       Après deux premiers chapitres mettant en place une situation où une reine juive est intronisée à la fastueuse cour perse et sauve le roi d’un complot, l’intrigue proprement dite commence avec ce chapitre trois.

       Alors que jusque-là, Esther et Mardochée semblaient bénéficier d’une situation confortable à la cour, un problème survient : Mardochée refuse l’ordre royal de se prosterner devant Haman, le nouveau Premier ministre. A première lecture, on pourrait imaginer que cette attitude s’explique par des tensions compréhensibles entre le courtisan, Mardochée, venant de sauver le roi, et celui qui semble élevé et honoré à sa place, Haman. Cependant, des enjeux beaucoup plus fondamentaux qu’une simple querelle de personnes se profilent. En effet, lorsqu’aux chapitres précédents Esther et Mardochée se gardaient bien de faire état de leur origine, le refus de se prosterner devant Haman conduit Mardochée à faire savoir qu’il est Juif. Le fait que, sous la pression des membres de la cour, Mardochée explique qu’il ne se conforme pas aux usages de l’empire parce qu’il est Juif soulève une question qui, au plan socio-historique, se posait de manière cruciale pour un lectorat juif de la période de domination des Empires hellénistiques. A quelles conditions peut-on s’intégrer au sein de l’administration de l’empire dominant et doit-on, pour se faire, cacher son identité ?

       Les raisons qui poussent Mardochée à refuser de se prosterner devant Haman ne sont pas explicitement mentionnées. Cependant, le contexte intellectuel, marqué par la rencontre entre cultures juive et grecque dans lequel le livre a été composé, laisse supposer que, pour ses rédacteurs, la prosternation devant un homme était incompatible avec les idéaux de liberté ainsi qu’avec les usages religieux du peuple juif. Au cours de cet épisode, Mardochée choisit donc de se conformer aux usages liés à son identité de juif libre plutôt que de continuer à s’intégrer discrètement au sein de l’administration de l’empire.

       La réaction de Haman est à la mesure des enjeux ethniques qui se posent, puisqu’il ne cherche pas seulement à éliminer Mardochée, mais l’ensemble de son peuple. Dans ce but Haman fait décréter un édit impérial. Le procédé est conforme à ce qui, dans le livre d’Esther, caractérise la façon de travailler de l’administration impériale. Comme dans le cas de l’édit mettant au pas toutes les femmes après qu’une seule d’entre elles, la reine Vashti, eut humilié le roi, l’édit promulgué vise à laver l’affront subi par Haman, lors du refus de Mardochée, en frappant l’ensemble du groupe, le peuple juif, auquel cet opposant appartient.