Esther 4, 9-16

La force de la prière

Saint Augustin

Livres de saint Augustin contre Pélage, Livre I, chap. 20, p. 28s

 

       Dieu dit par la bouche du prophète Ezéchiel : Je te donnerai un cœur nouveau, je mettrai un esprit nouveau au milieu d’eux. Pourquoi la reine Esther dit-elleà Dieu, et le prie-t-elle de cette manière : Mets sur mes lèvres un langage charmeur lorsque je serai en face du lion et tourne son cœur à la haine de notre ennemi. Pourquoi prier ainsi si notre Dieu n’opère pas lui-même la volonté dans le cœur des hommes ? On dira peut-être que la prière de cette femme était insensée ; voyons si c’est en vain qu’elle a présenté à Dieu sa prière, et si elle n’a pas été exaucée, si l’effet n’a pas suivi sa demande. Elle entre dans la chambre du roi ; je passe ce qui suit pour en venir au fait. Parce qu’elle ne s’est pas présentée  à son rang, étant pressée par une grande nécessité, le roi la regarda, selon ce qui est écrit : comme un taureau en fureur. La reine fit alors saisi de frayeur, la couleur de son visage se changea en pâleur, et elle laissa tomber sa tête sur la fille qui la soutenait. En même temps, Diue toucha le cœur du roi, et changea son courroux en douceur. Il est inutile d’ajouter les paroles qui suivent, et par lesquelles l’Ecriture témoigne que Dieu lui accorda ce qu’elle avait demandé, en donnant au roi la volonté d’ordonner et de faire ce qui était l’objet de sa prière. Avant que le roi n’eût entendu le discours de cette femme, Dieu avait changé le cœur de ce prince par une puissance très-cachée, et très efficace : il l’avait fait passer de l’indignation à la douceur, c’est-à-dire de la volonté de nuire à la volonté de se rendre favorable, selon cette parole de l’Apôtre : Dieu opère en nous le vouloir et le faire. Est-ce que ces hommes qui ont écrit ce fait, ou plutôt est-ce que l’Esprit de Dieu, par l’inspiration de qui ils l’ont écrit, a combattu le libre arbitre de l’homme ? Non, mais l’Esprit-Saint nous a fait admirer, dans le Tout-Puissant, et son jugement plein de justice et son secours plein de miséricorde.

       Il suffit, en effet, à l’homme de savoir qu’il n’y a pas d’injustice en Dieu. Mainteant, pourquoi agit-il ainsi, en faisant des uns, selon leurs mérites, des vases de colère, et des autres, par sa grâce, des vases de miséricorde ? qui connaît les deseins de Dieu, qui est entré dans le secret de ses conseils ? Si donc, nous appartenons à l’honneur de la grâce, nr soyons pas ingrats en nous attribuant ce que nous avonc reçu, car qu’avons-nous que nous n’ayons reçu ?