Ruth 3, 1-18

Booz endormi

Victor Hugo

La Légende des siècles, La Pléiade, p. 34s

Booz s’était couché de fatigue accablé ;

Il avait tout le jour travaillait dans son aire ;

Puis avait fait son lit à sa place ordinaire ;

Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé.

Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques,

Vêtu de probité candide et de lin blanc ;

Et, toujours du côté des pauvres ruisselant,

Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques.

Pendant qu’il sommeillait, Ruth, une moabite,

S’était couché aux pieds de Booz, le sein nu,

Espérant on ne sait quel rayon inconnu,

Quand viendrait du réveil la lumière subite.

Booz ne savait point qu’une femme était là,

Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d’elle.

Un frais parfum sortait des touffes d’asphodèle ;

Les souffles de la nuit flottaient sur Galgata.

L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;

Les anges y volaient sans doute obscurément,

Car on voyait passer dans la nuit, par moment,

Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.

La respiration de Booz qui dormait

Se mêlait au bruit sur des ruisseaux sur la mousse.

On était dans le mois où la nature est douce,

Les collines ayant des lys sur leur sommet.

Ruth songeait et Booz dormait ; l’herbe était noire ;

Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;

Une immense bonté tombait du firmament ;

C’était l’heure tranquille où les lions vont boire.

Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;

Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;

Le croisant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre

Brillait à l’Occident, et Ruth se demandait,

Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles,

Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été,

Avait en s’en allant, négligemment jeté

Cette faucille d’or dans le champ des étoiles.