Luc 15, 1-32

Le fils ainéPaul VI

Saint Ambroise de Milan

Traité sur l’évangile de Luc, Le Père miséricordieux, SC 52, p. 97s

        Qui es-tu donc, toi, le fils aîné pour contester au Seigneur le droit de remettre sa faute à qui bon lui semble ? Tu veux être prié ? Tu veux être imploré ? Si tous sont justes, où sera la grâce de Dieu ? Qui es-tu pour en vouloir à Dieu ? C’est pourquoi le frère aîné est ici censuré, au point qu’il est dit venir de la ferme, c’est-à-dire qu’il vient d’être occupé des choses de la terre, ignorant ce qu’est l’Esprit de Dieu, et finalement se plaignant qu’on n’ait jamais tué pour lui-même un chevreau. Ce n’est pas pour l’envie, mais pour le pardon du monde que l’Agneau a été immolé. L’envieux réclame un chevreau, l’innocent désire que l’Agneau soit immolé pour lui. On dit qu’il était plus âgé : c’est que l’envie fait vieillir plus vite ! S’il reste au-dehors, c’est que la malveillance de son âme jalouse l’exclut. Il ne peut pas percevoir la musique, il ne veut pas voir les danses, il ne veut pas entendre le son des flûtes bien accordées ; il ne désire pas participer à la joie du peuple qui chante et fait retentir sa douce et suave allégresse de voir le pécheur sauvé. Donnez-moi un de ceux qui se croient justes, qui ne voient pas la poutre dans leur œil, et ne peuvent supporter la paille du défaut d’autrui ! Comme il s’indigne, lorsque, ayant avoué sa faute et longtemps imploré son pardon, quelqu’un obtient grâce ! Comme ses oreilles ne peuvent supporter le concert spirituel du peuple ! Car il y a concert, lorsque, dans l’église, l’accord sans dissonance des âges et vertus diverses, telles des cordes variées, alterne les psaumes, et chante l’Amen à Dieu. C’est le concert que connaissait également saint Paul, car il dit aux Corinthiens : Je chanterai en esprit, je chanterai par mon intelligence !

        Voilà une partie de l’exposé que nous avons cru devoir faire de cette parabole du Père miséricordieux. Mais nous ne trouvons pas mauvais que tel veuille reconnaître, dans ces deux frères, les deux peuples, le plus jeune étant le peuple des Gentils, autre Israël à qui le frère aîné envie le bienfait de la bénédiction paternelle. C’est ce que faisaient les Juifs, en se plaignant que le Christ prît son repas avec les Gentils ; aussi réclamaient-ils le chevreau, sacrifice de mauvaise odeur. Le Juif réclame le chevreau, les chrétiens l’Agneau ; aussi on délivre aux premiers Barabbas, et, pour nous, l’Agneau est immolé. Dès lors, c’est chez eux la puanteur des crimes, chez nous la rémission des péchés, douce en son espérance, suave en son fruit : le Christ est la victime de bonne odeur.