Genèse 18, 1-33

A Mambré, Dieu apparaît sous forme humaine

Père Louis Bouyer

La Bible et l’Evangile, p. 143s

        A travers les récits de la Genèse, il est un trait commun qui devrait frapper aussitôt, c’est que Dieu, implicitement ou explicitement comme ici au chêne de Mambré, quand il apparaît, le fait sous forme humaine. Celui qui se promène vers le soir au jardin d’Eden, celui qui ferme du dehors la porte de l’Arche quand Noé y est entré, est évidemment envisagé sous des traits humains, tous comme les trois qu’Abraham a vus. Ce serait une grossière erreur que de ne voir là rien d’autre qu’une trace d’imaginations primitives. La vision divine la plus grandiose, la plus cosmique, la plus spiritualisée aussi de l’Ancien Testament, celle d’Ezéchiel, comporte en son centre, dans l’éclat du feu insoutenable aux regards mortels, sur la ressemblance d’un trône, comme une figure d’homme (1,27). La tradition rabbinique postérieure l’atteste d’abondance ; il y a une part d’anthropomorphisme absolument in-évacuable, dans la pensée juive sur Dieu la plus poussée, vers la transcendance : Dieu, pour Israël, a un visage, et c’est comme un visage d’homme.

Ceci qui nous étonne, habitués que nous sommes à penser Dieu dans des cadres hérités de la métaphysique grecque, n’est que la contrepartie d’une formule biblique que nous répétons sans mesurer toujours la part exacte de réalisme qu’elle renferme : Dieu, nous dit la Genèse, fit l’homme à son image. De là, suit immédiatement l’affirmation que l’homme a été établi par Dieu dans le monde pour dominer sur lui. Mais ce serait une grave erreur de réduire le premier verset à ce que nous dit le second. Le second, pour l’écrivain biblique, n’est qu’une conséquence du premier : c’est parce que l’homme ressemble à Dieu que la domination sur le cosmos lui appartient tout naturellement. Et il est tout à fait contraire à la mentalité biblique que de vouloir spiritualiser cette expression de ressemblance, si par spiritualiser on entend, à la grecque, quelque chose qui va de pair avec abstraire. Certes, c’est une question d’esprit avant tout que  cette ressemblance. Mais il ne faut pas oublier que l’esprit dans la Bible reste le souffle de vie que nous voyons justement, dans le second récit de la Genèse, Dieu insuffler de sa propre bouche dans les narines de l’homme. C’est à la condition de garder présent à la pensée ce réalisme si hardi, que l’on comprend aussi le lien si étroit, dans la Bible, entre Parole et Esprit, notamment dans les textes sur la création.

Après cela, on comprend que la mystique paulinienne de la nouvelle création se traduise par ces extraordinaires déclarations : Nous tous, le visage découvert, réfléchissant comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image de plus en plus radieuse, comme par le Seigneur qui est Esprit (2 Corinthiens 3,18).