Jean 1, 35-42

« Maître, où demeures-tu ? »

Dom Augustin Guillerand

Ecrits Spirituels, tome 1, p. 147s

         Les deux disciples de Jean-Baptiste veulent des rapports avec Jésus pour qu’il les éclaire : ils voient en lui un maître. Ils lui offrent leur être pour qu’il le conduise ; ils lui offrent cet être qui veut être mais qui n’est pas encore et qui se cherche pour qu’il l’emplisse de lui ; ils lui offrent leur être que le péché occupe pour qu’il l’ôte et leur rend tout ce que la faute leur a fait perdre. Ils lui offrent encore beaucoup d’autres choses que la vraie lumière faisait briller au fond de leurs âmes fraîches, jeunes, ouvertes à son rayon bien aimé ; et c’est à cette Lumière vraie que, sur le témoignage de Jean, ils disent : Maître, où demeures-tu ?

        L’expression demeurer est un mot caractéristique de l’enseignement de Jésus conservé par saint Jean. Il avait produit en l’âme aimante du disciple aimé une impression profonde ; il lui avait trouvé immédiatement une résonnance, une vibration qui avait ému tout son être. Entre ce mot et lui, il y avait un accord de fond. Saint Jean était essentiellement un contemplatif. C’était sa marque : il aimait demeurer, rester longtemps en face de ce qu’il regardait, parce qu’il aimait. Il se donnait tout de suite : c’était le propre de son âme, et c’est ce que Jésus a aimé en lui, car Jésus est cela : quelqu’un qui aime, qui demeure, qui veut qu’on demeure avec lui. De là ses appels : Demeurez en moi, demeurez dans mon cœur. De là, la promesse eucharistique avec la même note : Celui qui mange ma chair et boit mon sang, celui-là demeure en moi et moi en lui.

        Les deux disciples de Jean-Baptiste, en se mettant sur ses pas, ont tout saisi. Je ne dis pas que cette perception première ait eu la netteté précise et claire qu’elle devait prendre peu à peu dans leur esprit. Pour eux, comme pour tous, la lumière devait se lever d’un mouvement progressif, de ce mouvement irrésistible qui, en forçant ou en tournant l’obstacle, se fait son chemin, un chemin si sûr qu’on ne le remarque pas, et qu’il ne faut pas chercher à voir. C’est le mouvement de la vie qui est le mouvement de l’amour ; ce mouvement était celui de l’Esprit du Maître en eux. Ce mouvement les entraînaient sur les pas de Jésus, il était pleinement en germe dans ce mot : Maître, où demeures-tu ?

Le Maître attendait cette question. Sa démarche, ce passage à deux pas de ces âmes qu’il pénétrait au plus intime, le mouvement de son corps qui se retourne, sa question, sa physionomie, sa voix, tous ces détails qui en lui étaient si parfaitement accordés à ses pensées et à ses sentiments, préparaient et appelaient son invitation : Venez, et vous verrez.

Jésus ne leur indique pas le lieu de sa résidence : il les attire, il les emmène, il demande le rapport immédiat.