Siracide  5,1 – 6,4

L’amitié spirituelle

Aelred de Rievaulx

L’amitié spirituelle, p. 30s

 

L’amitié spirituelle, que nous appelons amitié véritable, n’est pas désirée dans la perspective d’un quelconque avantage matériel, ni pour un motif extrinsèque, mais à cause de sa propre valeur, et en vertu des sentiments du cœur humain, de sorte que son fruit et sa récompense ne sont autres qu’elle-même.

Aussi le Seigneur dit-il dans l’évangile : Je vous ai établis pour que vous alliez et que vous portiez du fruit, c’est-à-dire pour que vous vous aimiez les uns les autres. Car dans la véritable amitié, on va en progressant, et on recueille le fruit en goûtant la douceur qu’elle renferme quand elle est parfaite. L’amitié spirituelle entre gens de bien naît de la similitude de vie, de mœurs et de goûts ; elle est en conformité de sentiments, accompagnée de bienveillance et de charité, à propos des choses humaines et divines.

Cette définition me paraît suffisante pour dire ce qu’est l’amitié, si du moins ce qu’on appelle charité entraîne, selon notre point de vue, l’exclusion de tout vice, et si bienveillance signifie sentiment d’amour suscité avec douceur, à l’intime du cœur.

Là où existe une telle amitié, là aussi existe certainement un même vouloir et un même non vouloir, d’autant plus doux qu’il est plus sincère, d’autant plus suave qu’il est plus saint. Ceux qui s’aiment ainsi ne peuvent que vouloir ce qui convient, et ne pas vouloir ce qui n’est pas de mise. Cette amitié, la prudence l’oriente, la justice la régit, la force la garde, la tempérance la modère.

Pour rechercher l’origine de l’amitié entre les mortels, regardons d’abord la nature : elle imprime dans l’âme humaine un attrait pour l’amitié ; l’expérience l’a ensuite développée, enfin l’autorité de la loi l’a réglé. Dieu en effet, souverainement puissant et souverainement bon, est le Bien qui se suffit à lui-même ; il est à lui-même son propre bien sa propre joie, sa gloire, sa béatitude.