Ephésiens  3, 14-21

Le parcours du moine

Dom André Louf

Bernard de Clairvaux, SC 380, p. 363s

 

           Qu’enseigne donc saint Bernard ? Deux sujets surtout lui tiennent à cœur. D’abord l’excellence de la vie monastique. Ensuite la description du parcours spirituel, à partir des méandres de la conversion jusqu’aux sommets de l’union mystique.

        De la vie monastique, Bernard a une très haute idée. Au cœur de l’Eglise, elle rend présente à la fois la vie des anges, celle des prophètes et celle des apôtres. Moines et ermites sont les entrailles de l’Eglise, « venter Ecclesiae », son support et son soutien, « sustentamentum Ecclesiae », dont le rôle est de faire passer la sève spirituelle aux responsables comme aux inférieurs.

          Dès ses premiers écrits, Bernard fait preuve d’une étonnante virtuosité à rattacher son expérience intérieure aux paroles de l’Ecriture. Dans son écrit : « Les degrés de l’humilité et de l’orgueil »,il est déjà en possession d’une première synthèse, étayée par des textes scripturaires qui deviendront ses préférés par la suite, en particulier ceux du Cantique des cantiques dont la clé lui a peut-être été fournie par Guillaume de Saint-Thierry. Mais ce n’est pas à l’allégorie, c’est-à-dire aux mystères eux-mêmes, qu’il s’attarde, tout simplement parce que son public proteste quand il lui arrive de s’y étendre un peu « contrairement à l’usage ». On lui réclame des « moralia », c’est-à-dire des commentaires concrets sur la façon dont chacun peut entrer dans ces mystères élevés, par sa propre expérience de l’amour.

          Entre lui et ses auditeurs, un curieux dialogue s’instaure, qui a lieu au plus intime des cœurs, et qui confère à l’enseignement de Bernard un caractère tout à fait particulier : ce qu’il leur apprend de l’extérieur, ils ne peuvent le comprendre que par le cœur, et dans la mesure où leur expérience personnelle le leur confirme. Les « experts » dans l’amour saisissent sur-le-champ, tandis que les « non-experts » sont enflammés du désir, non de connaître rationnellement, mais de faire à leur tour la même expérience amoureuse. Car seuls ceux qui ont part à l’intimité de l’Epoux et de l’épouse peuvent comprendre : « Seule celle qui chante entend, ainsi que celui pour qui l’on chante, c’est-à-dire l’époux et l’épouse ».