Qohélet 3, 1-23

La contradiction

Dom Alphonse Maillot

La contradiction, BVC 96, p. 56s

 

Qohélet, dans le texte entendu, nous présente une sorte de programme de vie. Ne sommes-nous pas des êtres ambigus, et cette ambiguïté ne nous fait-elle pas souffrir ? Et pourtant ne fait-elle pas ressortir la richesse, la plénitude notre existence ? Le tout est de savoir choisir son temps, de ne pas vivre à contretemps. Nous sommes devenus des hommes qui  n’ont plus de temps, des hommes possédés par le temps au lieu de le détenir, des hommes qui subissent le temps au lieu de le juguler. Une des grandes malédictions de notre époque, c’est que nous sommes des hommes-sans-temps.

Qohélet nous exhorte à retrouver, à racheter le temps que nous nous sommes laissés voler. Il nous délivre de ce mensonge dans lequel nous nous sommes enfermés qui consiste à croire que nous n’avons le temps de rien. Car, en fait, nous avons beaucoup de temps, mais il nous faut prendre le temps d’avoir du temps.

Par ailleurs, nous proclamons bien vite que Jésus-Christ nous a délivrés de toute servitude et de toute malédiction, mais nous continuons de subir passivement celle du temps. Combien de chrétiens ne disent-ils pas : Je n’ai pas le temps !, sans se rendre compte qu’ils transforment alors, le temps restitué, racheté par le Christ pour eux, en un temps perdu : Soyez des hommes sensés qui mettent à profit le temps présent, écrit Paul aux Ephésiens. Le Christ est avant tout un homme qui a retrouvé le temps, le temps d’être un homme parmi les hommes, un chrétien parmi les chrétiens. Oui ! Un chrétien réel a tout son temps. Mais il y a aussi un avertissement : il ne faut jamais manquer le temps, il ne faut pas vivre à contretemps. Or combien d’hommes déchirent quand il faut coudre et cousent quand il faut déchirer. Certes, il y a un problème de discernement, d’appréciation du présent, mais la grande raison de nos vies syncopées n’est pas là. Elle réside dans le fait que l’homme ne sait pas faire face à son présent, qui pourtant est le seul temps réel, le seul dont il puisse disposer. L’homme le plus souvent se réfugie dans le passé avec le regret des occasions manquées, ou il se laisse dévorer par l’avenir et ses illusions enchanteresses. Et pendant ce temps-là, il laisse vide l’heure présente qui lui était donnée. Or la sagesse, c’est justement de ne pas rater l’heure, c’est de la saisir comme et quand elle se présente.