Luc 1, 46-56

« Il a regardé l’humilité de sa servante »

Hugues de Saint Victor

Commentaire du cantique de la bienheureuse Vierge Marie, passim

 

          Il a regardé l’humilité de sa servante. Dans l’Ecriture Sainte, le regard de Dieu est généralement pris selon trois acceptions : selon la connaissance, selon la grâce, selon le jugement. Pour ce qui est de la connaissance divine, l’auteur de la lettre aux Hébreux (4,13) dit : Tout est nu et découvert à ses yeux. Donc, par la connaissance, Dieu regarde tout ; mais par la grâce, il ne regarde pas tous les hommes. Pour ce qui est de la grâce, le psalmiste (33,17) dit : Les yeux du Seigneur sont tournés vers les justes et ses oreilles vers leurs prières. A ceux qui ne méritent pas ce regard, il sera dit à la fin : Je ne vous connais pas (Mt 25,12).

          Pour ce qui est du jugement, il est dit dans le livre des Proverbes (15,13) : Les yeux du Seigneur contemplent les bons et les méchants. Donc, pour Dieu, voir par la connaissance, c’est ne rien ignorer de ce qui est. Voir par la grâce, c’est présenter les dons de la miséricorde. Voir par le jugement, c’est destiner chacun selon ses œuvres, ou au châtiment, ou à la gloire.

          Mais puisque dans ce passage, il est question de la grâce, il faut considérer avec attention comment Dieu regarde l’homme par la grâce. Ce terme de regard est expressif et semble dénoter quelque chose de plus que voir. En effet, regarder est comme prendre en considération ce qui a été auparavant rejeté et délaissé. Dieu est dit se détourner de l’homme quand il soustrait ses dons par la rigueur de sa justice. Mais quand, apaisé par sa miséricorde, il restitue ce qui a été soustrait, il se retourne vers lui par le regard de la grâce. La bienheureuse Marie atteste que le Seigneur a regardé en elle sa seule humilité, parce que la nature humaine a récupéré en Marie, du fait de son humilité, le pardon divin qu’elle avait perdu en ses premiers parents, du fait de leur orgueil. En effet, parce que le Verbe du Père a assumé en elle la substance de la chair, il a pour ainsi dire regardé vers cette nature, qu’il avait souvent rejetée, en la sublimant par sa miséricorde.