Luc 1, 39-56

Le regard de Dieu

Dom Augustin Guilerand

Ecrits Spirituels, tome II, p. 158s

 

          Marie, lors de la Visitation à Elisabeth, a loué et béni son Dieu dans un élan de tout elle-même, élan jamais dépassé, ni égalé ici-bas ! C’était pour elle une heure si grande de sa vie ! Dieu venait, par une mystérieuse et ineffable opération de l’Esprit d’amour, de déposer en son sein virginal le Verbe éternel, son Fils Unique. Ecrasée et ravie à la fois de cette grâce des grâces, elle était allée porter son trésor et sa joie à sa cousine Elisabeth et donner à son Sauveur, à peine conçu, la joie de racheter une âme très chère.

          Là, sur le seuil de cette maison, devant celle qui la comprenait, celle que Dieu éclairait d’une si pure lumière, qui reconnaissait en Marie la Mère de son Seigneur et la femme bénie entre toutes les femmes, sous le coup de cette louange qui lui est adressée au nom de Dieu, louange qui doit remonter jusqu’à Dieu lui-même, Marie laisse couler ses sentiments contenus depuis quelques jours et qui l’oppressent ; aussi chante-t-elle ce cantique que chacun d’entre nous désire en faire l’hymne de toute notre âme et le résumé de notre prière chaque soir aux Vêpres : Magnificat… !

          La louange, que Marie offre à Dieu, produit en elle un effet merveilleux : elle la grandit, elle l’élève jusqu’à la cime d’elle-même, jusqu’à ces hautes parts de son âme où Dieu réside. En bénissant Dieu pour toutes les magnifiques choses faites par lui en elle, Marie les oublie, elle s’en détache, elle ne voit plus qui les a faites ; en toutes, Marie loue Dieu, elle adore son divin et immense amour : Mon esprit s’élance jusqu’à Lui…

          A qui doit-elle cet élan qui la place si haut ? A Dieu lui-même, à un de ses regards sur elle. Pour elle, toute grandeur est en Dieu, toute grandeur vient de Dieu, toute grandeur est une pensée de son éternel amour, amour qui vient se réaliser maintenant en notre terre. Pour Marie, Dieu l’aime, il aime aussi tous les hommes dans un regard d’amour sur tous, regard où passe toute la tendresse divine ; dans ce regard, dans cette tendresse, Dieu met comme une part de son être. A nous de devenir cette part de l’être divin que Dieu regarde et aime. Notre grandeur est là, dans ce regard divin, dans ce divin amour, dans cette participation à son être. Marie a compris cela : Parce que, chante-t-elle, le Seigneur a regardé mon néant, toutes les générations me proclameront bienheureuse.