Jérémie 16, 1-15

« Lui qui pour nous a été crucifié »

Père Hans Urs von Balthasar

Les grands textes sur le Christ, Jésus et Jésus-Christ n° 50, p. 184s

 

          La croix est le dramatique renversement de l’ancien au nouveau. Non seulement l’Ancienne Alliance, où il était question si souvent de la colère ou de la fureur de Dieu, de son pressoir sanglant, mais de tout l’ancien monde tombant en ruines, non seulement pour passer à l’Eglise qui sera dès lors le sacrement visible de la réconciliation de Dieu, mais pour passer au monde nouveau qui est engendré ici invisiblement, et est appelé à s’accomplir dans la transfiguration finale de la création. C’est le tournant, le passage, la Pâque. Et à ce tournant, dans le Crucifié, les deux choses se rencontrent : la colère de Dieu, qui ne pactise pas avec le péché mais ne peut que le rejeter, le détruire par le feu, et l’amour de Dieu qui justement commence à se dévoiler à la place de cette attitude inexorable.

          Etant ce tournant, le Crucifié est la Parole que le Père adresse au monde. Le Verbe, en cet instant, ne peut s’entendre lui-même. Il s’abîme dans le cri lancé vers le Dieu perdu. Et ce seront bien des interprétations de son sens céleste, en quelque sorte de la voix du Père et de l’Esprit dans le Fils, quand les évangélistes noteront : Pardonne-leur… Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. Toute est consommé ! Nous pouvons accueillir de telles paroles comme adressées à nous par le Père à travers l’Esprit dans la souffrance du Fils.

          Mais il nous est donné plus encore. La grande mutation marque l’heure de la naissance de l’Eglise, car le corps du Verbe de Dieu, rempli de la plénitude de la divinité, mais aussi de la substance du monde qu’il a assimilée, peut désormais être partagé dans l’Eucharistie, et du cœur qu’a transpercé la lance ruissellent l’eau et le sang du sacrement. Les disciples ont communié, ils sont déjà sacramentellement le corps du Christ. Objectivement, l’Eglise qu’ils forment est déjà avec Jésus sur la croix, mais subjectivement ils sont absents, hormis le disciple bien-aimé qui les représente.