Marc 3, 20-35

Jésus et Béelzéboul

Père Romano Guardini

Le Seigneur, Tome I, p. 130s

 

          La lutte que Jésus mène contre la puissance satanique lui est imposée essentiellement par sa conscience messianique. Il sait qu’il ne doit pas seulement enseigner une vérité, montrer une route, susciter une attitude religieuse vivante, nouer des relations avec Dieu, mais qu’il est envoyé pour briser des puissances qui s’opposent à l’accomplissement de la volonté de Dieu.       Pour Jésus, il n’y a pas seulement la possibilité du mal, liée à la liberté humaine, ni seulement la tendance au mal, fruit du péché de l’individu et de la collectivité, mais il y a une puissance personnelle voulant essentiellement le mal. Ne voulant pas seulement de mauvaise manière ce qui serait bon en soi, n’acceptant pas faute de mieux le mal avec le reste, mais voulant le mal en lui-même et pour lui-même. Il y a quelqu’un qui se dresse positivement contre Dieu. Il veut ébranler Dieu. Mais comme Dieu est le Bien même, il ne peut atteindre son but qu’en cherchant à entraîner le monde dans l’apostasie et le nihilisme.

          Voilà ce que suggère l’Ecriture, en disant que Satan produit ses ténèbres qui rejettent la lumière venant de Dieu, qu’il séduit les hommes, qu’il est un homicide depuis le commencement. D’après elle, Satan est maître d’un royaume. Il établit un ordre à rebours, voué au mal, dans lequel les cœurs des hommes, leurs actions et leurs créations, leurs relations avec le prochain et avec les choses, apparemment sensés, sont réellement insensés ?

          Jésus se sait envoyé contre Satan ; chargé d’illuminer de la vérité divine les ténèbres semées par lui, de dissoudre dans l’amour de Dieu le raidissement de l’amour propre et la rigidité de la haine, de relever avec la force constructive de Dieu les ruines accumulées par le mal, de pénétrer de sa sainte pureté l’impureté que Satan produit dans l’homme sensible. C’est ainsi que Jésus est en lutte contre l’esprit mauvais, cherchant à s’introduire dans l’âme humaine égarée, à éclairer la conscience, à réveiller le cœur assoupi, à libérer les bonnes énergies latentes. Mais Jésus reste inébranlable. Il maintient la Rédemption dans toute sa clarté. Il ne se laisse intimider par aucun adversaire. Il n’allège pas d’une once le message reçu du Père. Il ne permet pas davantage à la haine de l’entraîner à haïr à son tour, ni à la ruse de lui faire employer des détours mauvais, ni à la violence de le rendre violent. Au lieu de cela, il annonce inconfusiblement le message, la sainte réalité du Royaume.