Sur Sagesse 4, 1-20
La vie sur terre

Saint Augustin
De la Cité de Dieu, Livre XXI, chap. 14, OC 25, p. 26s

Il n’y a que bien peu d’hommes exempts de toute peine en cette vie, et qui n’en subissent qu’après la mort. Cependant nous en connaissons par nous-même, ou par ouï-dire, quelques-uns qui se sont avancés jusqu’à une vieillesse décrépite, sans avoir jamais ressenti le plus petit léger mouvement de fièvre, après avoir passé une vie pleine de calme ; il est vrai que la vie tout entière des mortels est une peine, puisque tout entière elle est une tentation, ainsi que nous l’apprennent les Saintes Lettres, quand elles nous disent : La vie de l’homme n’est-elle point un combat sur la terre ? (Job 7,1). En effet ce n’est point une petite peine que le défaut de sagesse ou l’ignorance, puisqu’on juge, avec beaucoup de raison, qu’il est si important de fuir cette dernière, qu’on force, par des châtiments pleins de douleur, les enfants à apprendre les arts ou les lettres. Le savoir même, auquel ils sont forcés par les châtiments, est si pénible pour eux, qu’ils aiment mieux quelquefois endurer les peines par lesquelles on les force à apprendre que d’apprendre. Qui ne frémirait et ne préférerait la mort, si on lui proposait le choix de mourir ou de redevenir enfant ; car ce n’est point par les rires, mais par les pleurs, qu’il inaugure son entrée dans la vie, prophétisant ainsi, en quelque sorte, sans le savoir, dans quels maux il tombe. Le seul qui ait ri, dit-on, en naissant, fut Zoroastre, et ce rire étrange ne lui a rien présagé d’heureux, dit Pline ; on le donne, en effet, pour l’inventeur de la magie qui ne lui servit en rien, pour le vain bonheur de la vie présente, contre ses ennemis. Ce mot de l’Ecriture : Un joug accable les enfants d’Adam depuis le jour qu’ils sortent du sein de leur mère, jusqu’au jour de leur sépulture dans le sein de notre mère à tous (Ecclésiastique 14,1), doit s’accomplir tellement à la lettre, que les petits enfants, même dégagés, par les eaux de la régénération, des liens du péché originel, les seuls dont ils soient chargés, n’en souffrent pas moins mille maux, et quelquefois même plusieurs d’entre eux sont exposés à l’invasion des esprits malins. Il est vrai que ces épreuves ne leur sont point funestes, si de tels assauts finissent par chasser leur âme de leur corps et par mettre un terme à leur existence, à cet âge.