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2° mercredi du temps ordinaire

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Sur Genèse 14, 1-24
L’offrande de Melchisédeq : le pain et le vin
Philippe Lefebvre
Brèves rencontres, Vies minuscules de la Bible, Cerf, 2015, p. 61s

Melchisédeq offre à Abraham du pain et du vin. Pain et vin sont les seules denrées produites par les humains qui aient été évoquées depuis le début de la Genèse. Or, dès qu’ils apparaissent, le pain et le vin sont mis en rapport avec la malédiction : on trouve le pain pour la première fois dans la malédiction que Dieu prononce à l’encontre d’Adam, après la désobéissance : Maudit soit le sol à cause de toi ; à la sueur de ton visage tu mangeras du pain. Quant au terme vin, il est apparu deux fois dans l’histoire de Noé, la première fois lorsque Noé s’enivre, la seconde quand il maudit son fils Cham. Remarquons qu’au pain et au vin s’attache une malédiction, lors des péripéties du commencement, et lors de ce nouveau commencement qu’est l’après déluge.
Lorsqu’il apporte son offrande à Abraham, Melchisédeq le bénit en ces termes : Béni soit Abraham par le Dieu très haut. Melchisédeq atteste ainsi que la malédiction n’est pas la seule logique à l’œuvre dans ce monde. Faut-il gagner le pain par un travail assidu ? Voici que le pain est apporté à Abraham. L’absorption de vin a-t-elle amené à la malédiction de Cham ? Voici que le vin est offert à Abraham par un roi de Canaan. Ce passage de la malédiction à la bénédiction est d’autant plus notable que les deux types de paroles sont plus d’une fois présentés dans la Bible en binôme contrasté : Dieu bénit les humains et leur fructification (Gn 1,28), puis il maudit le sol qui fructifiera difficilement (Gn 3,17) ; Noé maudit Cham et bénit le Seigneur (Gn 9,25-27) ; le prophète Balaam doit maudire Israël, mais il ne peut que le bénir (Nb 22-24). La bénédiction de Melchisédeq, porteurs de deux mets liés à une malédiction, semble donc appartenir à cette confrontation récurrente entre ce qui est béni et ce qui est maudit.
La malédiction désigne le domaine de l’opacité et de la résistance des choses, de la vie qu’il faut acquérir de haute lutte ; la bénédiction marque au contraire la vie donnée là où elle était improbable, la vie venue de plus loin que des efforts humains, la vie reçue capable de se transmettre encore.
Ce que nous avons vu de Melchisédeq a bien sûr une grande importance pour le Nouveau Testament. On commente habituellement la figure de Melchisédeq telle que la lettre aux Hébreux la présente explicitement. Mais cette figure, sans être nommée, me semble aussi présente dans les Evangiles : le roi de Salem vient visiter les textes qui parlent de Jésus, roi de Jérusalem, donateur de pain et de vin sur lesquels il a prononcé la bénédiction. Jésus est un roi et un prêtre paradoxal, qui se donne en se donnant dans le pain et le vin, puis il revient manger et boire avec les siens, après être sorti de la fosse où on avait cru l’engloutir.

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2° mardi du temps ordinaire

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Sur Genèse 12, 1-9
Le sens de l’appel d’Abraham
Jean Daniélou
Le mystère de l’Avent, chapitre 1, p. 29s

L’Ancien Testament est l’histoire de l’éducation religieuse de l’humanité par Dieu, de façon à la rendre capable de recevoir les biens divins qu’il lui destine. Avant de venir dans la chair pour accomplir pleinement le mystère du salut du monde, le Verbe de Dieu lui-même a commencé par préparer ce dont nous avons le prélude dans le choix que Dieu a fait d’Abraham et de sa descendance pour leur communiquer déjà les secrets du mystère du Christ, d’une manière encore obscure et cachée, mais très réelle pourtant. Et ceci de manière à habituer peu à peu une humanité grossière et rudimentaire, adonnée au culte des idoles, à s’élever, à comprendre et à deviner qu’elles allaient être les réalités que le Christ apporterait. Lorsque le Christ apparaîtrait et que son mystère serait révélé, l’humanité serait capable de le comprendre.
La migration d’Abraham de Chaldée en Canaan est donc un événement d’une nature presque unique, qui n’a d’égal dans la totalité de l’histoire que la création du monde et l’incarnation du Christ. Il est en effet le commencement absolu de l’action de Dieu dans l’histoire, comme la création est le commencement de son action dans le cosmos, et l’incarnation le commencement du monde futur. Il inaugure l’Histoire Sainte. Il est la première manifestation de l’action historique du Dieu vivant. C’est donc un ordre de réalité nouveau qui apparaît avec lui, et qui va remplir dix-neuf siècles. C’est là ce qui donne à ce départ d’Abraham son caractère unique.
Cet événement comprend plusieurs aspects. Il est d’abord un ordre de départ, une séparation. Jusque-là, en effet, Abraham semble avoir partagé les croyances idolâtriques de son peuple. Le départ d’Abraham, c’est donc la rupture avec les idoles et le commencement du culte du Dieu véritable. Pour toute la tradition judéo-chrétienne, Abraham est le modèle et le principe de la conversion au Dieu vivant par le commencement absolu de la foi.
En même temps qu’un ordre de départ, qu’une rupture avec le passé, l’élection d’Abraham est une promesse, l’annonce d’un avenir. Par-là, apparaît aussi dès l’abord le caractère de la religion nouvelle. La religion cosmique reconnaissait le divin dans la régularité du cours des astres et des saisons que Dieu avait garantie par l’Alliance noachique : c’était une religion de la nature. Au contraire, la religion biblique sera l’attente d’événements historiques à venir : Oui, je te bénirai et je te multiplierai.