Anne et son ministère de femme au sanctuaire

Philippe Lefebvre
Brèves rencontres, vues minuscules de la Bible, p. 166s

Anne est fille de Phanouel. Ce nom ne nous emmène pas d’abord chez un homme qui serait son père, mais vers un lieu. Anne est d’ailleurs définie par le lieu qu’elle occupe : le Temple qu’elle ne quitte jamais, servant Dieu jour et nuit. Phanouel, c’est en effet la translittération grecque de Penouel, le lieu ainsi baptisé par Jacob, près du gué du Yaboq, où il a vu la face de Dieu, c’est ce que signifie Penouel. Elle est la fille de cette expérience fondatrice : la quête de la Sainte Face, telle que l’ancêtre, le patriarche Jacob, mentionné par l’archange Gabriel, l’a vécu de manière si intense. Il y a dans la faction d’Anne au Temple, le lieu privilégié où Dieu se manifeste, l’expression d’une tradition proprement féminine d’attente vigilante.
Anne est au Temple dans le jeûne ; mais elle est aussi fille de Phanouel, la face de Dieu. Notre texte pourrait suggérer un lien entre l’antique liturgie des femmes qui attendent que Dieu fasse resplendir son visage : C’est ta face, Seigneur, que je cherche, dit un psaume. Dieu est pour Anne cet Autre qu’elle cherche, elle qui depuis fort longtemps n’a plus le vis-à-vis de son époux, elle était veuve, nous dit Luc. En digne fille de Phanouel et en descendante de Jacob, elle est depuis longtemps sortie du regard réflexif pour se tourner vers Dieu. C’est le visage d’un enfant qui lui sera offert. On remarquera les deux verbes qui soulignent bien que sa spiritualité est dégagée de l’ego : sa réaction n’est pas une intériorisation individuelle : dès l’arrivée de l’enfant, Anne entre dans la relation, elle fait acte de confession à l’égard de Dieu et elle parle de l’enfant à tous ceux qui attendent.
Le fait qu’Anne soit au Temple atteste donc que le rôle de vigilance qu’avaient les femmes dans l’ancien Israël, même s’il est peu marqué dans l’Ancien Testament, reste une réalité vivante. Ici encore, c’est un héritage spirituel qui est assumé. Il s’harmonise bien avec cette importance des femmes dans les commencements chez saint Luc. Quand la voix du prêtre Zacharie s’est tue pour un temps, celle de sa femme a retenti avec force. Celle de Marie s’est fait entendre, alors que l’on n’entendra jamais Joseph. Et Anne n’est pas de reste. Après le cantique de Syméon, elle parle pour diriger les regards vers l’enfant.