Sur Ac 2, 22-41

« C’est bien moi,… regardez »
Dom André Louf
Homélie du dimanche 25 avril 1982, à l’abbaye du Mont-des-Cats

Jésus ressuscité des morts, ses disciples ont de la peine à le reconnaître chaque fois qu’il se montre ! Au premier abord, il y a presque toujours méprise ; en un second temps seulement, leurs yeux s’ajustent à une réalité qui jusque-là semblait leur échapper.
A quoi reconnaître quelqu’un sinon à son corps, c’est-à-dire aux traits de son visage, à l’intonation de sa voix, à la profondeur de son regard, à tous ces signes extérieurs qui suscitent en nous le sentiment de la présence de telle personne bien précise ?
Il devait en être de même pour Jésus. Et en effet, puisque ses disciples doutent, voyez mes mains et mes pieds, leur dit Jésus, c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a ni chair, ni os. Jésus en chair et en os : y aurait-il un autre chemin pour aborder Jésus ? Certes non, et cependant depuis Pâques, quelque chose est arrivée à cette chair. Ce n’est plus le corps d’avant, familier, reconnaissable à première vue, mais fragile et encore voué à la mort. C’est désormais le corps d’après, un corps à qui sont arrivés en même temps la mort et l’amour.
Comme tout homme, Jésus est bel et bien mort. Mais cette mort, pour la toute première fois, fut un sommet d’amour. La mort, en effet, ne pouvait être transformée que par une mort d’homme de qualité enfin exceptionnelle, une mort qui serait, purement et simplement, la rencontre et la fusion de deux amours.
Quels furent ces deux amours qui se rencontrèrent dans le corps de Jésus ? D’abord l’amour de Jésus lui-même. Jusque-là son corps était un corps pour la mort, marqué par celle-ci, dès les débuts, comme notre corps aujourd’hui et promis à la dissolution finale. Ce corps, Jésus l’avait assumé par amour pour nous, et pour être en mesure d’aller jusqu’au bout de cet amour, en entrant avec nous dans notre mort, puisqu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie.
L’autre amour vient ensuite, venant à la rencontre du sien, c’était l’amour de son Père qui ne pouvait abandonner son Fils à la corruption, mais qui devait l’accueillir pour lui donner un corps nouveau et une vie nouvelle. Et voilà de quelle façon, dans sa mort pascale, le corps de Jésus devint le lieu crucial, où la mort se trouva engloutie par la vie, puisqu’en lui deux amours se firent face, dans une seul et même étreinte, l’amour du Fils se donnant jusqu’à la mort, et l’amour du Père sauvant son Fils de la mort, rencontre d’où jaillit la résurrection.
Ayant sauvé son Fils, Dieu sauva du même coup tous ses autres enfants. Car ce qui arriva au corps de Jésus est également arrivé à notre propre corps, à nous qui avons été baptisés dans la mort et la résurrection de Jésus. Quelque chose du corps ressuscité de Jésus, un germe humble, une semence petite mais puissante a été enfouie dans notre propre corps et y est mystérieusement à l’œuvre. Il y a là non seulement un espoir de résurrection future, mais déjà, en nos meilleurs moments ici-bas, un admirable début, un merveilleux reflet du corps ressuscité de Jésus.
Il n’est pas toujours facile de s’en apercevoir. Car la mort n’est pas supprimée, ni la souffrance des corps, ni les échecs dans l’amour, ni le péché. Et cependant, partout où le corps de l’homme ou de la femme se trouve engagé, un espoir est donné que, quoiqu’il lui arrive et quelle que soit sa misère ou sa déchéance, dans la maladie, la torture et jusque dans l’agonie, un espoir est donné qu’à travers lui un amour vrai peut toujours venir au jour. Cela uniquement à cause du corps ressuscité de Jésus.