sur Romains 10, 1-21
De l’école du service du Seigneur à l’école de l’amour

Dom Olivier Quenardel
Sagesse cistercienne, p. 666s

Héritiers de saint Benoît, mais arrivant plus de six siècles après lui, les cisterciens vont naturellement s’efforcer de vivre dans le contexte culturel et religieux de leur époque, sans confondre authenticité monastique et repli sur des formes archaïques. Cela explique pour une grande part la nouvelle tournure qu’ils vont donner à l’interprétation de la Règle avec le souci d’y conformer leur manière de vivre. On peut la caractériser en disant que l’école du Service du Seigneur instituée par saint Benoît devient à Cîteaux l’école de l’amour. Non qu’elle ne le soit pas déjà chez saint Benoît, mais de manière plus explicite, plus pénétrée de ce qui apparait comme le grand détour de la charité tel qu’il se déploie dans le Mystère de l’Incarnation. Cîteaux, il est vrai, commence à un moment où les défenseurs de la catholicité n’ont plus à lutter contre ceux qui mettent en doute la divinité du Christ, comme c’était encore le cas quand saint Benoît écrit sa Règle. Par contre, en cette fin du XI° siècle, et tout au long du XII°, on se plaît de plus en plus à contempler l’humanité du Christ jusque dans son anéantissement le plus extrême, non de façon doloriste, mais dans l’onction de l’amour qui s’émerveille et se laisse embraser : par l’Incarnation de son Fils, Dieu est venu chercher l’homme là où il est, dans le charnel, le sensible, l’affectif, et en repartant delà, Dieu conduit l’homme jusqu’au cœur de sa divinité. Sans doute peut-on avancer, mais toujours avec prudence, que la différence d’accent entre la sagesse clunisienne et la sagesse cistercienne se situe principalement à ce moment-là. Cluny, avant Cîteaux, et plus que Cîteaux, tourne ses regards vers le Christ en gloire ; Cîteaux, après Cluny, et plus que Cluny, tourne ses regards vers le Jésus de l’histoire, vers ce Dieu qui, par son humanité, s’est fait accessible à toute l’épaisseur humaine. D’où des styles de vie monastique assez différents aujourd’hui encore quand on passe d’un monastère bénédictin à un monastère cistercien. On peut préférer l’un à l’autre, mais que l’on se garde de dire que l’un fait mieux que l’autre ! Ils se recommandent de la même source et, dans l’unique Eglise du Christ, ils sont aussi inséparables que l’Orient et l’Occident.